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L'ombre d'un doute
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C’est la
rentrée littéraire ! De fin août à fin octobre, les titres se
bousculent en librairie. Nombreux sont les auteurs qui ne
survivront pas à cette guerre impitoyable de l’édition. Car, sur
la ligne d’arrivée, il y a des milliers de lecteurs qui
cherchent un bon bouquin et il sera difficile de leur faire
connaître et lire plusieurs centaines d’ouvrages en si peu de
temps d’actualité. Le marketing est donc appelé en renfort pour
donner de la visibilité aux écrivains. Mais tous les genres
littéraires ont-ils leur chance ? La littérature fantastique
a-t-elle sa place dans la course au Goncourt ? Parmi les 683
romans qui se disputent les vitrines et les présentoirs,
Maison-Hantee.com s’est intéressé au dernier livre de Nathalie
Rheims, L’Ombre des Autres*, publié chez
Léo Scheer. Vous ne pouvez pas le manquer : on le voit partout
jusque sur les façades des grands magasins culturels. Ce battage
médiatique est-il bien approprié ? Pas si sûr… |
Par Olivier Valentin
Paris, XIXème siècle. Une étudiante de la
Salpêtrière qui travaille aux côtés du célèbre Professeur Charcot est
contactée par son vieil oncle d’Angleterre pour soigner les troubles
psychiques de sa femme. Tess traverse donc la Manche et rejoint la
propriété familiale de Shanagan pour étudier le mal mystérieux dont
souffre sa tante. Mais une étrange société spirite opère, en secret,
dans les coulisses du manoir. Alors que l’Europe polémique sur l’étude
des phénomènes paranormaux, la jeune fille, en proie à des sentiments
troublants, se retrouve prise au piège d’une machination aux frontières
de l’au-delà…
Après Le Cercle de Megiddo, qui
flirtait avec l’astrologie et la kabbale, Nathalie Rheims nous plonge
dans les mystères du spiritisme et des pouvoirs surnaturels de l’homme.
Fascinée par l’engouement pour les sciences occultes, en France et en
Angleterre, à la fin du XIXème siècle, elle imagine une étrange histoire
d’amour entre un vieil ornithologue, membre d’une société secrète, et
une jeune étudiante en psychopathologie. L’auteur puise dans les rouages
d’une parapsychologie naissante des personnages historiques et des
découvertes controversées qui ont réellement marqué leur époque : le
Professeur Jean-Martin Charcot et ses travaux sur l’hystérie, le
somnambulisme magnétique, Conan Doyle et sa conversion au spiritisme, la
photographie spirite, l’écriture automatique, les spectacles de
fantasmagories inspirés par Etienne Robertson,…
Parfaitement renseignée sur les enjeux du
paranormal à l’aube du XXème siècle, Nathalie Rheims ancre ses
événements et son esthétisme gothique dans un historique impeccable. On
y reconnaît les débats d’idées qui animaient, avec virulence, les
savants et les religieux au sujet de la vie après la mort, des mystères
du cerveau humain et de la communication d’outre-tombe.
Cependant, malgré une toile de fond à la
hauteur des révolutions scientifiques de l’époque, l’intrigue s’emballe
rapidement. A l’instar d’une séance de spiritisme (scène récurrente du
roman) qui établit trop facilement le contact avec les esprits, tout
parait trop simple. "Je peux croire n’importe quoi, pourvu que ce soit
absolument incroyable" disait Oscar Wilde. Encore faut-il conduire sa
victime au-delà de la réalité, avec prudence et ingéniosité, sans
alerter son cartésianisme. Un bon roman fantastique vous pousse, en
douceur, à douter de tout. Jamais d’un coup ! Le monde de l’invisible
s’ouvre alors sans que l'on s'en aperçoive. Or, dans l’Ombre des
Autres, il y a quelque chose qui cloche, empêchant la magie
d’opérer, comme si on flairait un piège. Tout va trop vite. Plutôt qu’un
roman ou un conte, on dirait un scénario de film ou une pièce de théâtre
pour lesquels l’auteur ne s’embarrasse pas de détails. L’action le
dispute à la réflexion et à l’atmosphère. Pourtant, ce qui fait
l’efficacité d’une bonne histoire de fantômes, comme chez Maupassant,
c’est justement la manière dont est amenée l’ambiance, dans ses moindres
détails, jusqu’à ce que les personnages, bien ancrés dans le réel,
basculent subitement dans l’irréel, sans espoir de retour.
Dès les premières lignes, le lecteur,
intrigué, se laisse prendre au jeu d'une mécanique bien huilée. Mais les
événements s’enchainent ensuite de manière trop télégraphique pour tenir
l’intérêt intact jusqu’au bout. Tirant les ficelles dans tous les sens,
Nathalie Rheims ne prend pas assez le temps de poser, en nuances, ses
personnages dans ces contextes pourtant si bien dépeints. Ils migrent
d’un monde à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une société secrète à
l’autre ou d'un sentiment à l'autre sans justifier leurs actes, ni leurs
intentions. Dans cette course effrénée à la vérité, on finit par exiger
le coup de grâce: la révélation finale !
Au début, il y a l’ombre du film
d’Alejandro Amenábar, Les Autres. Puis, vient celle du roman de
James Herbert, Dis-moi qui tu hantes. Enfin, il reste l’Ombre
des Autres, avec l’ombre d’un doute : celui d’avoir manqué une belle
histoire ! Dommage…
O.V.
15/09/06
(*) L'Ombre des Autres, de Nathalie
Rheims, Editions Léo Scheer (site
web) |