Histoire de la voyance et du
paranormal
Vous êtes nombreux à nous adresser des
e-mails concernant votre intérêt pour le paranormal ! Mais, bien
souvent, des amalgames, une passion aveuglante ou, tout simplement, de
fausses idées reçues font vite de cet univers un vrai "fourre-tout"
folklorique qu'on range dans les greniers de nos grands-parents comme
une vieille malle à souvenirs : voyance, parapsychologie, fantômes,
spiritisme, astrologie, horoscopes et maintenant new age !
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En outre, vous vous interrogez
perpétuellement sur la véracité de ces phénomènes et de ces
croyances. Comment prouver que cela existe ou non ? Mais
pourquoi toujours chercher la preuve scientifique qui
veut faire, une fois pour toutes, la lumière sur les mystères de
notre univers et du cerveau humain ? Non seulement tout mélanger
conduit à décrédibiliser les recherches sérieuses à ce sujet,
mais cela fait aussi perdre de vue le sens caché de ces
traditions, du point de vue anthropologique, au-delà de la démarche
rationnelle. Avec Histoire de la voyance et du paranormal du
XVIIIe siècle à nous jours, publié au Seuil, Nicole Edelman,
maître de conférence en histoire contemporaine, nous propose de
dépasser la quête de preuves pour se concentrer sur
"l'historicité" des phénomènes paranormaux : décrypter les
racines de ces croyances, dans leur contexte idéologique, pour
mieux comprendre ce qui fait rêver les hommes et pourquoi ? |
Ce livre bien documenté, qui
flaire souvent le travail de recherche universitaire (des
passages parfois difficiles d'accès), tombe à pic à une
époque où notre société, pourtant friande de bizarreries, se
laisse trop facilement abuser... ou désabuser !
Il répond à des questions simples
: comment nos sociétés politiques et scientifiques ont-elles
considéré, de révolutions historiques en révolutions
culturelles, les phénomènes inexplicables comme authentiques ou
fantasmés en fonction des époques ? Se sont-elles accommodées de
ces croyances ? Dans quel but ?
Dans un entretien qu'elle a
accordé à Maison-Hantee.com (voir ci-après), Nicole Edelman,
plutôt réservée et énigmatique sur ses expériences avec le
surnaturel,
reconnait que l'au-delà et la confrontation avec le deuil
poussent souvent les gens à des "conduites irrationnelles".
L'histoire de la voyance et du paranormal flirte donc avec
l'histoire des morts et de la volonté des vivants à communiquer
avec eux, à travers d'autres dimensions de l'univers ou... de la
conscience !
En effet, l'histoire de
l'occultisme s'est régulièrement offert les services de la
science, notamment de la médecine, au 19ème siècle, lorsque
l'homme et ses capacités psychiques inconnues ont fait l'objet
de recherches plus ou moins bien accréditées par la morale et
l'éthique. Des étoiles de notre voie lactée aux petites cellules
grises de notre cerveau, le paranormal donne le vertige.
Autrefois imbriquées, la croyance et la connaissance sont
aujourd'hui cloisonnées, livrant les pouvoirs surnaturels de
l'homme en pâture aux médias ou, au mieux, aux œuvres de
fiction.
Comment les croyances occultes
renaissent-elles de leurs cendres malgré la prédominance de la
rationalité dans nos sociétés occidentales ? Les religions ont-elles
perdu le monopole de l'autre-monde ? Quel sens peut-on donner
aujourd'hui aux fantômes et aux phénomènes parapsychologiques ? Comment
retrouver une part de rêve dans les mystères de l'univers, sans en
devenir les jouets ? Le livre de Nicole Edelman donne des clefs de
réflexion pour y voir plus clair et ainsi préserver notre émotion et
notre intuition, à l'abri des pièges. Car, avant de prouver, croire ou
stigmatiser, il faut d'abord savoir et comprendre...
O.V.
Maison-Hantee.com : Nicole Edelman, vous êtes maître de conférences en
histoire contemporaine à l’université Paris X-Nanterre, auteur de
plusieurs ouvrages sur les mystères du paranormal. Pouvez-vous nous en
dire plus sur votre parcours et vos enseignements ? D’où vous vient cet
intérêt pour l’histoire de l’occultisme ?
Nicole Edelman : Avant
Histoire du paranormal et de la voyance, je n’avais écrit qu’un seul
livre, Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France 1785-1914,
(Albin Michel, 1995) ayant un rapport avec ce thème. L’ouvrage était
issu d’une partie de ma thèse de doctorat (que j’ai soutenue après
presque deux décennies d’enseignement en lycée et classes
préparatoires). Ce travail m’a intéressée parce qu’il s’inscrit au
croisement d’une histoire de la médecine psychiatrique, de la folie, de
la mort, d’une histoire des croyances, d’une histoire du genre… Et ce
qui pouvait sembler se situer aux marges de nos sociétés scientistes et
rationnelles est bien au contraire souvent nodal. Ces ouvrages m’ont
permis de montrer combien l’occulte est partie prenante de notre monde
occidental.
Maison-Hantee.com : Votre dernier ouvrage, Histoire de la voyance et
du paranormal du XVIIIème siècle à nous jours, dépasse la
sempiternelle controverse entre "croire ou ne pas croire aux phénomènes
paranormaux", pour mieux comprendre comment les "forces naturelles
inconnues", comme les qualifiait Camille Flammarion, ont animé la
recherche scientifique et souvent bouleversé nos sociétés. Ce livre
veut-il profiter de l’engouement actuel pour le merveilleux et
l’énigmatique (révélé par le succès du Da Vinci Code) ou répondre à un
besoin plus profond de faire appel systématiquement à l’histoire (et
l’anthropologie) pour mieux cerner les enjeux de demain ?
Nicole Edelman :
Mon dernier livre
s’appuie sur une bonne quinzaine d’années de recherche… cependant s’il
profite de l’engouement actuel, tant mieux ! Mais je montre aussi que ce
goût pour le merveilleux est présent dans nos sociétés occidentales
depuis des siècles tout en se modifiant dans ses formes, ses pratiques
et ses références. Cette "histoire" de la voyance peut donc (j’espère)
aider à penser ces phénomènes.
Maison-Hantee.com : Qu’est-ce qui a déterminé votre choix d’historienne
d’étudier le paranormal sur une période relativement récente de notre
histoire (18ème siècle à nos jours) ?
Nicole Edelman :
Je suis (comme
tout universitaire enseignant-chercheur) spécialisée dans une période de
l’histoire : l’histoire contemporaine (en France : 1789 à nos jours).
L’étude du paranormal, comme tout autre objet d’histoire, exige la
meilleure connaissance possible du "contexte" politique, culturel,
social, économique,…
Maison-Hantee.com : Personnellement, avez-vous déjà fait l’expérience du
paranormal ?
Nicole Edelman :
J’ai longtemps
rêvé que mes textes sortent tout écrits de mon imprimante…
Maison-Hantee.com : Comment vos étudiants réagissent-ils à ces sujets ?
Nicole Edelman :
Ils sont
intéressés mais pour beaucoup ces thèmes sont difficiles car ils
demandent des connaissances et des lectures dans des domaines peu
abordés (ou jamais) : religieux, médicaux, scientifiques, culturels,…
Maison-Hantee.com : Compte tenu de son action dans l’histoire et sur
l’histoire, le paranormal est-il, selon vous, devenu dangereux pour
notre société contemporaine ?
Nicole Edelman :
Dangereux s’il
empêche d’affronter par soi-même, en toute conscience, les problèmes
qu’ils soient personnels, politiques ou sociaux.
Maison-Hantee.com : Vous dites : « Les croyances au paranormal
joueraient donc le rôle de substituts, de systèmes alternatifs de
valeurs ». Pensez-vous que les religions devraient s’interroger
davantage sur l’influence des croyances ésotériques auprès des jeunes
générations qui flirtent plus facilement de nos jours avec le
surnaturel ? Comment les éduquer pour leur éviter dérives ou
désillusions ?
Nicole Edelman :
Je ne pense pas
que « les jeunes générations flirtent plus facilement de nos jours avec
le surnaturel », les types et les formes de croyances changent selon les
moments de l’histoire et c’est en effet peut être au détriment des
grandes religions monothéistes. A certains moments de notre histoire (je
parle de la France), la quasi totalité des jeunes étaient catholiques
(ou protestants) et croyaient donc en tout ce qu’enseignait la religion
chrétienne. Par ailleurs, malheureusement, je n’ai pas de recette pour
« éviter dérives et désillusions ».
Maison-Hantee.com : Vous reprochez aux médias de provoquer confusions et
amalgame avec pour conséquence une "acculturation paranormale". Pour
vous, la rapidité avec laquelle ces sujets sont traités, visant plus
souvent le sensationnalisme et la superficialité, nuit à la réflexion
et, à terme, à l’émotion. Quels profils ou supports vous semblent les
plus adaptés à témoigner du paranormal, sans verser dans le
spectaculaire stérile ?
Nicole Edelman :
Dans mon livre, je
fais référence à quelques émissions qui permettent de réfléchir, elles
sont centrées sur un seul type de sujet (clairvoyance, guérisseurs,
parapsychologie…) et le traite le plus complètement possible sans éviter
les questions gênantes même si elles n’ont pas de réponses absolues.
Maison-Hantee.com : Science et paranormal ont vécu, et vivent encore,
une histoire d’amour mouvementée. Tout au long de l’histoire des
croyances occultes, la science a-t-elle joué un rôle favorable dans
l’émancipation du paranormal ou, au contraire, s’est évertuée,
volontairement ou involontairement, à "désenchanter le monde" ?
Nicole Edelman :
Les croyances
occultes n’ont pas cessé de s’adosser à des sciences pour se valider et
parfois elles ont basculé dans le réel grâce à des découvertes
scientifiques, par exemple l’hypnose. Aussi l’évolution de la science ne
réduit-elle pas le champ des croyances, bien au contraire me
semble-t-il, elle ouvre de nouveaux espaces à l’imaginaire.
Maison-Hantee.com : Lisez-vous des histoires de fantômes à vos enfants ?
Nicole Edelman :
Je leur ai lu des
contes avec des ogres, des sorcières et des fantômes. Je lis pour ma
part Henry James, Edith Wharton, Edgar Poe, Maupassant, Gautier,…
Maison-Hantee.com : Avez-vous déjà consulté une voyante ?
Nicole Edelman :
J’en ai rencontré
plusieurs pour mon travail d’historienne. Je parle dans mon livre de
Maud Kristen et de George de Bellerive. La curiosité intellectuelle pour
ce qu’ils ressentent quand ils "voient" est intéressante. Ils acceptent
(ou ont accepté) de se confronter à des neurologues, des anthropologues,
des sociologues et des historiennes.
Maison-Hantee.com : Vous évoquez la conversion de Sir Arthur Conan
Doyle, père de Sherlock Holmes, au spiritisme, un centre d’intérêt aux
antipodes de la démarche rationnelle de son héros. Y a-t-il une
propension éducative, culturelle ou intellectuelle chez l’individu à
verser plus ou moins facilement dans l’étrange ?
Nicole Edelman :
La mort d’un être
aimé conduit parfois à des conduites irrationnelles.
Maison-Hantee.com : Par curiosité, seriez-vous tentée de faire tourner
les tables ? De chasser le fantôme dans une maison supposée hantée ?
Nicole Edelman :
Mais c’est fait,
bien sûr ! [NDR : nous n'en apprendrons pas plus]
Maison-Hantee.com : Que pensez-vous de notre site Maison-Hantee.com ?
Nicole Edelman :
Singulier et
dépaysant.
Propos recueillis par Olivier VALENTIN |