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Journaliste,
écrivain, membre du jury Femina, amie de Colette, éditrice,
productrice et première femme à obtenir le Renaudot, Germaine
Beaumont est l’auteur d’une série de romans policiers qui, à
défaut de cadavres, mettent en scène des fantômes et des maisons
chargées de mystères. Héritière d’Agatha Christie et de Virginia
Woolf, son nom est associé à la mythique émission Les Maîtres
du Mystère qui, dans les années 50, hanta les ondes
radiophoniques avec ses énigmes policières et fantastiques.
Grâce au dévouement d’Hélène Fau, la spécialiste incontestée de
Germaine Beaumont, les éditions Omnibus ont réédité deux
trilogies, Des maisons, des mystères (mars 2006) et
Des familles, des secrets (août 2006). Une occasion rare de
saluer la mémoire d’une romancière de talent qui a marqué la
littérature de suspense du XXe siècle en faisant parler les
maisons "hantées"… |
Par Olivier Valentin
Le nom de Germaine Beaumont a souvent été
assimilé à la littérature policière. Pourtant, il n’y a jamais eu un
seul cadavre dans ses romans ! Sans doute sa double culture, française
et anglaise, et sa passion pour les énigmes policières écrites par des
femmes, ont-elles entretenu le mythe ? Mais ce sont surtout le décor et
l’ambiance de ses intrigues qui ont contribué à faire de Germaine
Beaumont la spécialiste des "romans policiers sans police", selon les
mots de Colette. En outre, son talent à camper le mystère dans des
maisons abandonnées explique la tonalité surnaturelle qui marque sa
bibliographie.
Née Battendier en 1890, près de Rouen,
Germaine Beaumont est confrontée très tôt à la séparation de ses
parents. Après le départ de sa mère qu’une petite fille de 8 ans peut
difficilement expliquer, elle se réfugie dans l’univers des poupées…
qu’elle s’amuse à décapiter ! En effet, elle leur préfère le mobilier et
les malles de rangement qui ferment à clef, développant ainsi un
véritable goût pour le huis-clos. Sitôt prononcé le divorce des époux
Battendier en 1898, elle chemine d’une maison familiale à l’autre,
produisant chez elle une fascination pour les histoires d’enfants
délaissés et de maisons secrètes.
C’est donc tout naturellement qu’elle se
tourne vers l’Angleterre de Charles Dickens en 1908 où elle passe dix
ans à cultiver sa passion pour les livres, en particulier les aventures
d’orphelins perdus dans les ruelles d’un Londres de légende. Dernier
roman à énigme inachevé de Dickens, Le mystère d’Edwin Drood fait
d’ailleurs partie de ses livres de chevet.
La première Guerre Mondiale signe son
retour en France où, grâce à la complicité de Colette, une amie de sa
mère, elle entre comme chroniqueuse au journal Le Matin, tenu par
le second mari de la célèbre romancière. C’est le temps de
l’apprentissage journalistique. Au-delà des articles et des reportages,
Germaine Beaumont se frotte aussi aux contes et aux feuilletons,
préfigurant la romancière de talent qu’elle s’apprête à devenir.
C’est en 1930 qu’elle accède à la
notoriété littéraire avec son premier roman, Piège, récompensé
par le Prix Renaudot. Germaine Beaumont est d’ailleurs la première femme
à être honorée de cette distinction. Avec ce premier coup d’éclat, elle
fait son entrée dans un imaginaire teinté de fantastique, un
"fantastique intérieur" comme l’écrira Louis Pauwels, auteur du célèbre
Matin des Magiciens, en 1955.
En 1934, le Jury Femina fait "entrer le
loup dans la bergerie" en y introduisant Germaine Beaumont, redoutable
juré qui ne mâche pas ses mots pour critiquer les livres qu’elle trouve
trop mondains ou trop consensuels. En revanche, elle défend bec et
ongles un roman qui la touche profondément, allant même jusqu’à claquer
la porte au nez des autres membres qui contestent son opinion. Mais,
derrière ce tempérament excessif, c’est une authentique femme de lettres
qui se révèle. Animée par l’"instinct des livres", elle accorde en
1936 aux éditions Plon les droits de ses futurs romans qu’elle écrit
depuis sa maison de Montfort-l’Amaury.
Comparée aux sœurs Brontë et inspirée par
Agatha Christie, sa muse, Germaine Beaumont signe ses meilleures
histoires, à mi-chemin entre la detective novel et le récit
surnaturel. Dans la pure tradition des romans policiers écrits par des
femmes, véritables couturières du crime, elle met en scène des
aventurières, indépendantes et modernes, libres et obstinées, qui
s’amusent à dépoussiérer des secrets de famille dans des maisons
"hantées".
En effet, chez Germaine Beaumont, les
maisons de caractère sont des personnages à part entière qui ont une
influence sur leurs occupants. Dans La Harpe irlandaise, elle
écrit : « La maison était silencieuse. A la qualité de son silence, on
mesurait son isolement. Entre cette maison et le monde, on devinait de
vastes étendues de bois, l’absence d’autres maisons. C’était moins une
demeure qu’un ermitage, le genre de retraite que peut souhaiter pour y
vieillir, pour y mourir paisiblement, un être dont le cœur s’est consumé
de regrets. C’est la maison "à la lisière des forêts, au sein de ces
terres légères et sablonneuses où croît l’ancolie" ».
Et cette influence se révèle généralement
néfaste.
« Croyez-vous, madame, que les maisons
puissent porter malheur ?
- Non. Les pierres sont innocentes. Je croirais plutôt que ce sont les
gens qui portent malheur aux maisons.
- Mais la maison est vide.
- L’abandon est un malheur. »
Dans ce roman qui appartient à la trilogie
des Maisons, des mystères, Laura et Flore sont deux cousines par
alliance. La première est veuve, la seconde célibataire. Alors qu’elles
se rendent pour l’été à la résidence de campagne de Laura, leur voiture
tombe en panne. En attendant la réparation, Laura cueille des fleurs
dans un champ. C’est alors qu’elle aperçoit le fantôme de son défunt
mari, Edmond. Cette étrange apparition n’est pas sans rapport avec la
découverte d’une maison abandonnée, baptisée la Jamoise, au cours d’une
promenade. Or, la vieille demeure est en vente à un prix exorbitant
malgré son délabrement. Ce qui éveille la curiosité des deux femmes.
Cependant, rarement en accord, Laure et Flore décident d’enquêter,
chacune de leur côté, sur le passé trouble de la maison. Laure ne tarde
pas à découvrir le terrible lien entre cette maison et feu son époux…
En grande spécialiste des histoires de
fantômes, l’auteur n’hésite pas à utiliser le ressort surnaturel pour
mettre ses protagonistes sur la piste de la révélation finale. « Pendant
les cinq premières années du veuvage de Laura, Edmond ne s’est jamais
manifesté. Il a toujours été présent dans le cœur fidèle qui le
pleurait, mais il est resté dans ces limbes où ne pénètrent point les
vivants. Pourquoi revient-il depuis quelque temps ? Pourquoi force-t-il
les portes de la mort ? Pourquoi erre-t-il autour de la Jamoise ?
Pourquoi livre-t-il maintenant le secret qu’il a si bien défendu ? ».
Conjuguant habilement l’intrigue policière
et le drame psychologique, Germaine Beaumont s’inscrit dans la lignée
d’une Daphné du Maurier (Rebecca) ou d’un Boileau & Narcejac (D’entre
les morts), deux romans magistralement adaptés au cinéma par Alfred
Hitchcock.
En outre, Germaine Beaumont est non
seulement une bonne plume mais aussi une voix à la radio puisqu’elle
anime dès 1950 l’émission Les Maîtres du Mystère avec Pierre
Billard, puis L’Heure du mystère, en solo, où elle raconte des
histoires « de secrets, de mystères, de criminels non identifiés,
d’innocents injustement poursuivis, de substitutions d’enfants, de
testaments volés, de mariages truqués, d’héritages détournés. » Elle
fait la lecture de classiques et s’entoure d’une équipe d’auteurs qui
proposent textes et adaptations.
Germaine Beaumont est donc un auteur à
découvrir ou à redécouvrir, grâce à la réédition de ses œuvres chez
Omnibus, un projet que l’on doit à Hélène Fau, présidente de
l’association Le Trèfle Blanc, qui perpétue la mémoire de l’écrivain.
« Les fantômes ne reviennent jamais sans
raison »…
O.V.
Des maisons, des mystères : La Harpe
irlandaise, Les Clefs et Agnès de rien
Germaine Beaumont
Préface d'Hélène Fau
Omnibus - Mars 2006
Des familles, des secrets : Du côté d'où
viendra le jour, La Roue d'infortune et L'Enfant du lendemain
Germaine Beaumont
Préface d'Hélène Fau
Omnibus - Août 2006
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© Photographie : O.V. |