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Lune voilée sur Big
Manoir
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Du 9 octobre
2005 au
1er janvier 2006, David Rozen et son équipe jouent "Pleine
lune sur Big Manoir" au théâtre du Tambour Royal, à Paris. Un
spectacle musical qui enferme toute une nuit de pleine lune
quatre jeunes candidats d’une émission de télé-réalité dans un
manoir réputé hanté. Devant faire face à des phénomènes
inexplicables, les participants vont se révéler leurs petits
secrets jusqu’au dénouement final. Dans ce jeu de huis-clos, la
frontière entre la réalité et le fantasme va être souvent
franchie, au gré des apparitions, des chansons et des bruits
étranges. Cependant, même si les interprètes de ce nouveau
concept sont mus par l’ambition de vouloir divertir avec
générosité, la formule ne prend pas et la nuit de pleine lune
est vite assombrie par de redoutables nuages. "Ne faites
confiance à personne" nous dit l'affiche. Elle ne croit pas si
bien dire... |
Par Olivier Valentin
Encore une fois, le surnaturel, manipulé
avec soin, a la vertu de faire saliver ! A la lecture du synopsis, tout
amateur de fantastique et de théâtre est animé par l’irrésistible envie
de pénétrer dans ce mystérieux manoir de sinistre réputation. Surtout
lorsqu’il fait partie de ces générations qui vouent un culte aux
comédies musicales et à la télé-réalité ou, au contraire, s’en moquent !
Quoi qu’il en soit, on se laisse happer avec enthousiasme par cette
promesse de dérision et de frissons ludiques. Qui garde en mémoire
l’extravagant "Rocky Horror Picture Show" ou l’humour macabre de Tim
Burton (dont "Les Noces Funèbres" qui sortent en France le 19 octobre
semblent très prometteuses) n’est pas insensible à cette aventure. C’est
donc hantée par ces images d’épouvante, de poésie et de gothique
victorien que l’équipe de Maison-Hantee.com se laisse séduire par cette
histoire de quatre jeunes, aux tempéraments a priori incompatibles, mais
qui, devant les caméras d’une production télévisée, vont devoir
cohabiter dans une demeure au passé chargé…
Au vu de ces attentes, le théâtre du
Tambour Royal est alors l’endroit idéal pour invoquer les esprits ! A
l’abri de l’agitation urbaine, dans un discret passage du quartier du
Faubourg du Temple, se cache une des plus anciennes salles de concert de
Paris (1850) qui a vu débuter Maurice Chevalier en 1902. Dans cet antre
pittoresque qui se passe volontiers de l’argent public au profit de
l’argent du public, le parquet craque, les peintures murales se
patinent, les 130 fauteuils (tous restaurés en 1993) sont confortables,
un magnifique rideau rouge lèche la scène, les installations électriques
rendent hommage au cinéma de Méliès et les toiles d’araignées
(fausses !) recouvrent piano, pendule et pare-feu. Bref, nous prenons
place dans un théâtre hanté par le souvenir de nombreux artistes du Belleville d’autrefois et sauvé du délabrement en 1987
par la comédienne Marthe Michel. L’atmosphère feutrée, intime et
nostalgique de ce lieu de mémoire est incontestablement le ticket d’entrée
gagnant de ce spectacle…
Soudain, alors que la pénombre envahit la salle et
que la petite trentaine de spectateurs retient son souffle, les
premières notes de musique sortent timidement des enceintes. Une
voix-off, qui hésite de ton entre l’outre-tombe et le burlesque, annonce
la couleur. Bienvenue à Big Manoir où deux filles et deux garçons vont
devoir faire face à des manifestations effrayantes de l’autre monde…
Celui de la télé ou de l'au-delà ?
Dès cet instant, l’expérience va
s’efforcer de trouver son public qui, de fait, ne sait plus en quoi il
doit croire. Malgré de bonnes interactions entre les comédiens,
notamment lors de la scène où ils improvisent une histoire de sorcière
dans un énergique tac-au-tac de dialogues, le rythme pêche souvent par
le sur-jeu (ou sur-je ?) de certains acteurs, l’inégalité dans les
chansons et leur interprétation, les faiblesses du scénario (ne donnant
pas à tous les comédiens le temps de camper leurs rôles avec
authenticité), le manque d’inventivité des effets de scène, la
monotonie de
certaines chorégraphies et les sempiternels clichés de la maison hantée.
Les meilleurs moments sont ceux qui
mettent toute l’équipe en scène ou à l’épreuve du célèbre confessionnal,
propre à toute émission de télé-réalité. Mais, dès lors que les
protagonistes se séparent (condition sine qua non pour que surviennent
les temps forts…), on assiste à une succession de courtes scènes, sans
vraie logique de transition : chansonnettes en solo où les personnages
crient leur mal-être entre deux fantômes en costume de Scream,
reconstitutions – tranchantes ! – du passé (qui empruntent à Shining
mais sans l’étoffe d’un Jack), intrusions de nouveaux personnages
(interprétés par les mêmes acteurs, dans un costume différent, ce qui
perturbe la lisibilité de l’intrigue) et one-man shows un peu poussifs
d’un présentateur travesti qui évoque, avec plus ou moins de succès,
l’animateur de radio déluré du Cinquième Elément de Luc Besson.
En outre, certains aspects de la pièce frisent parfois le ridicule
voire, sans mauvais jeu de mots, le réchauffé. En effet, la
reconstitution du drame qui précède la hantise du manoir ôte toute
crédibilité aux revenants !
"Pleine lune sur Big Manoir" a donc,
hélas, de faux airs de "spectacle de fin d’année". Dans cette toile
d’araignée où se sont empêtrés quelques bons talents (une mention
spéciale à Elisabeth Santos et à Mikaël Ruben qui tirent leur épingle du jeu !), l’intention
est toujours honorable. Ce qui fait de ce divertissement un moment
sympathique à passer en famille pour les fêtes d’Halloween.
Mais, héritiers de la famille Addams,…
passez votre chemin !
O.V.
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