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Pourquoi Phantom Manor est l’attraction que je
préfère à Disneyland Paris ? D’emblée, je répondrais : parce que cette
maison hantée s’appuie sur le registre de la peur ! Et pourtant, rien
n’est effrayant et peu d’effets font sursauter… Or, une fois passée la
grille en fer forgé qui garde la propriété, on se laisse vite
impressionner par une alchimie visuelle qui ensorcèle et attire. La peur
ne sera pas dangereuse mais ludique et esthétique. Visite guidée.
A l’approche de Phantom Manor, un climat délétère se fait de plus en
plus clairement ressentir.
Des haut-parleurs, habillement dissimulés dans le jardin, diffusent la
farandole des fantômes, Grim Grinning Ghosts.
Derrière des arbres meurtris, se dessine au sommet d’un sentier pentu la
façade délabrée d’un manoir abandonné datant de la Ruée vers l’or.
Pour y accéder, il faut emprunter l’escalier en pierre qui longe la
véranda de verre à l’ancienne. Un vent glacé y souffle en permanence.
La végétation semble avoir été minutieusement choisie pour coller au
thème du sinistre : plantes grasses et épineuses, arbustes aux branches
racornies,… mais sans l’ombre d’une fleur !
Les pics métalliques qui barricadent l’enceinte du domaine épousent
parfaitement les colonnes en pierre. La forteresse est imprenable et
surtout bien gardée par des domestiques qui pratiquent l’économie du
sourire. Et il vaut mieux ne pas les importuner, ni se moquer d’eux…
L’esthétique extérieure de Phantom Manor n’est pourtant pas inconnue. La
maison ressemble trait pour trait à celle de Norman Bates dans le film
"Psychose" d’Alfred Hitchcock. Cette maison au style « pain d’épice
californien » selon les mots du cinéaste est l’archétype de la maison
diabolique et mystérieuse. Dans le film d’Hitchcock, elle enferme le
terrible secret du protagoniste interprété par Anthony Perkins.
Chez Disney, les créateurs de l’attraction s’en sont fortement inspiré
pour ériger ce temple du frisson. Et ce qui fait son originalité par
rapport aux trains fantômes classiques des fêtes foraines, c’est son
histoire de jeune mariée dont les noces maudites célébrées il y a 140
ans hantent encore la sombre demeure.
Et la mélodie funeste d’un orgue sépulcral ne cesse de nous le rappeler…
« Selon la mythologie de Frontierland, parmi les pionniers de la ruée
vers l’or débarqués en ville, une famille trouva les premières et les
plus grosses pépites. Devenu subitement riche, le patriarche se fit
bâtir un orgueilleux manoir surplombant la rivière et décida de marier
sa fille. La jeune femme disparut mystérieusement le jour des noces et
nul ne l’a plus jamais revue depuis. On dit que son âme hante désormais
ce lieu. »
La curiosité nous ayant piqué, il n’est plus possible de faire
demi-tour. On pénètre dans le bâtiment par un hall d’accueil après être
passé sous le auvent du perron.
Là, un majordome, emprunt d’une solennité glacée, nous fait passer dans
une pièce sans porte, ni fenêtre… Il nous souhaite bonne chance !
Soudain, dans le noir, une voix caverneuse monte d’outre-tombe pour nous
apprendre avec ironie que nous sommes pris au piège. Alors, les murs
s’allongent inexorablement. Aucune issue pour sortir. Le piège se
referme…
Un éclair nous fait sursauter. Quelqu’un pousse un hurlement de terreur.
On a à peine le temps de lever les yeux au plafond pour apercevoir un
pendu se balancer au bout de sa corde.
Un panneau s’ouvre discrètement et nous laisse pénétrer dans un couloir
luxueux mais mal éclairé. On se croirait dans un vieux manoir anglais.
Au mur, des portraits se déforment à notre passage. L’illusion est
parfaite ! On comprend alors que la pièce précédente était en fait un
ascenseur qui nous a fait descendre dans les entrailles de la maison.
Puis, dans un gigantesque séjour, on embarque à bord de larges fauteuils
montés sur des rails. Des ombres chinoises dansent sur le mur. La visite
commence…
« Le déplacement à l’intérieur de l’attraction est rendu possible grâce
aux "Doom Buggies" : des véhicules de deux passagers qui utilisent le
système de mouvement perpétuel exclusif développé par Walt Disney
Imagineering, le WEDway "Omnimover" Transportation System. Chacune des
131 voitures est capable de se mouvoir à 180°, à gauche et à droite, et
est pré-programmée pour assurer toujours le meilleur angle de vision
tout au long de l’attraction. »
C’est alors un ballet d’émotions et de surprises qui prend forme en
s’appuyant sur des animations gothiques et des effets spéciaux purement
mécaniques. On ne voit nulle part les traces d’un procédé numérique.
On touche le cœur de ce qui fait notre bonheur à Phantom Manor : le
classicisme d’une vieille maison hantée dont les phénomènes surnaturels
sont tirés par des ficelles traditionnelles comme dans les vieux films
d’horreur en noir et blanc de la Hammer.
« Phantom Manor comprend 92 personnages Audio-Animatronics®, 54
accessoires animés, 58 effets spéciaux individuels et plus de 400
accessoires spécifiques, ce qui en fait une des attractions les plus
élaborées des parcs Disney. »
Tout est donc une question d’optique et de tour de magie en direct.
La salle de bal est ma scène préférée. Les invités du banquet de noces
se divertissent au son de l’orgue. On chante, danse et mange. Tout cela
serait plutôt plaisant si cette fête n’était pas animée par de sinistres
fantômes ! Or, ces spectres se meuvent librement dans le décor en 3D.
Comment est-ce possible ? Un procédé holographique ?
Pas du tout. En fait, une immense baie vitrée inclinée sépare le
visiteur du décor. On voit la salle de bal par transparence.
Et sous les rails de nos fauteuils, les personnages Audio-Animatronics®
sont éclairés par des spots colorés. C’est le reflet de ces robots que
l’on aperçoit dans la vitre. Et d’après notre point de vue, on a
l’impression que ces reflets s’intègrent parfaitement dans le fond en
3D. Ingénieux !
On se laisse aussi surprendre par un quatuor de visages animés projetés
sur des têtes en plâtre, par l’apparition de squelettes qui soulèvent le
couvercle de leur cercueil, ou encore par le passage des « Doom Buggies
» devant de larges miroirs dans lesquels on aperçoit des fantômes
grimaçants s’accrocher à nos dossiers…
Toute cette féerie fait grincer des dents. Tout est si soigneusement
pensé, dessiné, sculpté et orchestré au rythme de la musique d’ambiance.
« Comme dans les attractions de Disneyland, du Magic Kingdom à Walt
Disney World et à Tokyo Disneyland, le thème musical principal de
l’attraction est "Grim Grinning Ghosts" écrit par X. Atencio et Buddy
Baker tandis que la musique d’accompagnement a été spécialement
réenregistrée dans un nouvel arrangement par le London Chamber Orchestra
au grand complet (60 musiciens !). Les mélodies vont de la marche
funèbre à la valse, en passant par une version piano honky-tonk ou un
quartette de bustes chantants ! ».
L’ensemble devient une délicieuse promenade dans les méandres du
surnaturel et de l’imaginaire poétique. Qui aurait pu croire qu’on
pouvait prendre autant de plaisir à se faire peur ?
Et la chair de poule ne s’arrête pas là. Après avoir échappé à la
maison, il faut ensuite sortir des griffes du petit cimetière familial.
Les tombes laissées à l’abandon communiquent à la maison son atmosphère sinistre.
« En quittant Phantom Manor, prenez à gauche et passez la grille de fer
rouillé pour passer encore un petit moment en compagnie de nos chers
disparus. Faites un tour parmi les tombes du cimetière de Boot Hill.
Situé sur une petite colline dominant Rivers of the Far West, ce
cimetière décrépi a été construit à l’origine pour abriter les
dépouilles des propriétaires de Phantom Manor.
En déambulant parmi les tombes, vous y lirez des épitaphes très
spirituelles, comme celles-ci :
Valentin, dit le Désossé
Ici reposent les miettes d’un homme brisé.
ou bien
Jacques Schrillman
"Lynché par une poignée de mélomanes.
Une fausse note l’aura tué"
le 9 mai 1865
ou comme celles-là qu’apprécieront les amateurs de la langue de
Shakespeare :
Jasper Jones
Loyal Manservant
Died 1866
"Kept the Master happy
Anna Jones
Faithful Chambermaid
Died 1867
"Kept the Master happier
La visite n’est donc pas de tout repos.
Spectre furtifs et bruits inquiétants. Toute la panoplie de l’angoisse
est là pour vous cerner de toutes parts. Et quel soulagement de pouvoir
en sortir !
Mais peut-on vraiment en sortir ?
On n’oublie jamais totalement la maison hantée de Disneyland Paris.
C’est pourquoi elle est l’une des attractions les plus populaires du
parc.
Vous y entrez avec de l’enthousiasme et de l’appréhension. Vous en
sortez avec des souvenirs et des images plein la tête.
Avouez que l’échange vaut la peine de croire aux revenants !
Olivier Valentin
En savoir plus :
>>
Le site
officiel de Disneyland Paris
>> Un
site en anglais
entièrement dédié à l'attraction Disney's Haunted Mansion
>> Le
livre "Making of" dédié au film "Le manoir hanté et les 999
fantômes" et disponible sur Amazon.fr : "The Haunted Mansion : From the
Magic Kingdom to the Movies" de Jason Surrell (Disney Editions, octobre
2003) |