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>> Les Mystères de Paris (1ère partie)

[Retour lieux hantés]

Pour ce second volet de notre reportage consacré aux mystères de Paris, Erick Fearson nous ouvre les portes du cimetière du Père-Lachaise, vaste nécropole à l’est de la capitale et qui accueille, nuit et jour, vivantes ou mortes, des milliers d’âmes errantes. Notre chasseur de fantômes nous offre une promenade aussi macabre que romantique où chaque statue semble s’animer et chaque tombe vous attirer dans un monde peuplé de créatures étranges et de personnalités occultes. Au-delà des spectres et des touristes, c’est toute une communauté de passionnés qui s’est appropriée ces lieux hors du temps. Des visiteurs nocturnes qui bravent les interdits aux historiens en herbe qui consacrent des heures entières à faire parler les morts, des générations de parisiens se sont succédées au Père-Lachaise. Entre anonymat et notoriété, chaque sépulture garde jalousement son secret. Maison-Hantee.com vous en révèle aujourd’hui quelques uns…

Par Erick Fearson

Il se fait tard et la nuit est déjà bien avancée. Un Monte-Cristo à la main, confortablement installé dans mon fauteuil "club", des questions vagabondent dans mon esprit et semblent s’évanouir dans la fumée du Corona que je déguste avec délice. Mais une question revient sans cesse : "Quel est l’endroit où j’ai le plus de probabilités de rencontrer une foule de spectres ?" De toute évidence, il faut un lieu calme et favorable à ce genre de manifestations, un lieu habité par la grande faucheuse. Après quelques réflexions, la réponse me semble évidente. Quoi de plus propice en effet qu’un cimetière ?

Il y a de par le monde des milliers de cimetières, fourmillant potentiellement de revenants. Encore faut-il faire le bon choix ? Mais paradoxalement, la tradition veut qu’un seul fantôme erre dans un cimetière. Ce fantôme est l’esprit de la première personne enterrée dans cette terre sacrée. Selon d’anciennes croyances, il est chargé d’éloigner les mauvais esprits et les malfaiteurs. Il est le gardien du cimetière. Il y a fort longtemps, en Europe, un rituel païen constituait à sacrifier un être humain dans chaque nouveau cimetière, afin de s’assurer qu’il aurait un gardien. Cependant, rien n’est immuable en ce bas monde, et c’est pourquoi il y a, dans chaque règle, des exceptions.

Je cherche toujours la réponse à ma question quand un éclair me traverse l’esprit. En effet, je viens de terminer d’écrire un article consacré à Allan Kardec, le père de la philosophie spirite. En fouillant dans ma mémoire, je me rappelle soudainement que son corps repose à Paris, au cimetière du Père-Lachaise. Le Père-Lachaise, endroit mythique et mystique, dernière demeure de personnalités plus étranges les unes que les autres. Ce territoire des morts devrait cacher, dans ses sombres recoins, quelques illustres fantômes. Il n’en faut pas plus pour enflammer mon imagination et pour me préparer à ce voyage initiatique.

Magie noire et autres rituels occultes

Je rassemble toutes les informations que je possède et prends contact avec quelques relations. Grâce à elles, j’ai rendez-vous avec une personne qui connait bien le cimetière et sa face cachée. Cet homme - dont je tairai l’identité - fut un habitué des excursions nocturnes de ce célèbre lieu. J’apprends qu’il fut le témoin bien involontaire d’étranges cérémonies. Une nuit, alors qu’il déambulait en silence dans les allées, il assista à bonne distance à un rituel de magie noire pratiqué par d’énigmatiques personnages vêtus de longues robes cérémonielles. Il semble que ces pratiques soient régulières dans ce cimetière. Pour information, durant l’année 2000, un fœtus humain fut retrouvé sur une tombe de la nécropole. D’après la mise en scène macabre, tout laisse à croire que celui-ci fut utilisé pour un rituel occulte. Une autre fois durant ses promenades nocturnes, il fut témoin d’une scène surréaliste : un défilé de néo-nazis, en tenue d’apparat, parmi les sépultures. Apparemment, ce lieu est plus fréquenté la nuit que le jour ! Peu m’importe, puisque je n’ai pas l’intention de m’y aventurer la nuit, surtout pour y rencontrer quelques dingues vouant un culte au 3ème Reich. Cet homme m’apprend aussi que l’on peut rejoindre les catacombes par une entrée secrète située au cœur du Père-Lachaise. Peu m’importe les catacombes pour l’instant. Elles feront l’objet d’une prochaine enquête.

J’ai assez informations en ma possession pour commencer mon voyage…

J’approche de la nécropole, et me demande si je vais trouver ce que je cherche. Car les bruits de la ville ne me semblent pas favorables à la manifestation d’esprits quels qu’ils soient !

Cependant, il est inutile pour moi de rebrousser chemin… et puis, qui sait ? La vie nous réserve parfois de bien étonnantes surprises. Selon la rumeur, le fantôme le plus célèbre de ce lieu est le spectre d’un chat roux de très grande taille. Il semble être le gardien du cimetière. Aurai-je la chance de le croiser ? Et dans ce cas, comment pourrai-je le distinguer de ses congénères ? D’après mes informations, il se déplace étrangement et est anormalement gros !

Je pénètre dans la cité des morts par l’entrée monumentale, et suis étonnamment surpris du silence qu’il y règne sitôt passé l’enceinte du Père-Lachaise. Plutôt que de suivre un itinéraire bien défini, je décide de me laisser guider par mon intuition.

Les morts célèbres attirent les morts riches

Après les massacres de la Révolution Française, les cimetières parisiens se trouvaient surpeuplés. Les vapeurs méphitiques qui s’en dégageaient obligèrent Napoléon à chercher de nouveaux terrains pour inhumer les morts parisiens.

Le préfet Frochot trouva, à l’est de Paris et en dehors de la capitale, le clos Mont-Louis. L’ouverture du cimetière de l’Est eu lieu le 21 mai 1804. Il devint plus tard le cimetière du Père-Lachaise. Jésuite de son état, le Père-Lachaise était le confesseur et le conseiller de Louis XIV. Sa communauté, l’ordre des jésuites, fut un temps propriétaire du clos Mont-Louis. Il y eut cependant un problème. Les Parisiens ne voulaient pas trouver le repos éternel aussi loin de chez eux. Napoléon 1er décida alors de lancer une grande campagne de publicité en y transférant les restes d’Héloise et Abelard, ceux de La Fontaine et de Molière pour "attirer les foules". Aux côtés des plus illustres sépultures, les richissimes citoyens se firent alors construire de magnifiques tombeaux par les plus grands artistes de l’époque. Aujourd’hui, avec ses quarante-trois hectares de superficie, il est devenu le plus grand cimetière de la capitale.

La reine des tarots

J’emprunte l’avenue principale et passe devant la modeste tombe de Mlle Lenormand qui fut pourtant, en son temps, la voyante des grands de ce monde. Astrologue, cartomancienne, elle fut la reine des tarots durant la Révolution, l’Empire et la Restauration.

Un jour, une femme désirant un conseil au sujet d’un mariage vint la voir :

« Mon soupirant, dit-elle, est un petit officier corse sans fortune et probablement sans avenir… »

Après avoir consulté ses arcanes, voici ce que lui répondit Mlle Lenormand :

« Votre petit officier est promis au plus grand avenir. Il surpassera tous les hommes de ce temps. Il vous associera à sa gloire. Mais attention ! Cette gloire sera passagère et votre amour vous coûtera bien des larmes ».

La consultante était Joséphine de Beauharnais et ce petit officier dont elle promettait un grand avenir était bien évidemment… Napoléon Bonaparte ! La renommée de Mlle Lenormand fut tellement grande que le tsar Alexandre vint la consulter. Le jeu divinatoire qui porte son nom est toujours utilisé aujourd’hui.

Les racines du bizarrisme

Je continue mon chemin et mon regard est comme happé par l’énigmatique tombeau d’Etienne Gaspar Robertson (division 8), tombeau orné de créatures fantastiques et de crânes ailés. Sa sépulture est à l’image du personnage. Il semait l’effroi chez les spectateurs qui venaient assister aux mises en scènes macabres de ses fantasmagories. Leurs succès furent considérables en leur temps. Voici comment se déroulait l’une d’elles… Un soir, une soixantaine de personnes étaient présentes dans un appartement du pavillon de l’échiquier à Paris. À 19 heures précises, un homme à la pâleur cadavérique entra dans l’appartement. C’était Robertson en personne. Après avoir soufflé la plupart des bougies, il prit la parole :

« Citoyens et messieurs, j’ai assuré que je ressusciterai les morts, je les ressusciterai. Ceux qui désirent l’apparition d’êtres chers dont la vie s’est terminée par la maladie ou autrement n’ont qu’à parler : j’obéirai à leur commandement ».

Un jeune homme sollicita l’apparition d’une femme qu’il aima tendrement. Robertson versa alors sur un réchaud enflammé deux verres de sang, des plumes de moineau et quelques grains de phosphore. Le silence se fit pesant et, dans une demi-pénombre, l’angoissante attente commença… Et l’impensable se produisit ! Une jeune femme, les cheveux flottants, fit son apparition. Elle fixa son jeune ami avec un sourire tendre et douloureux avant de disparaître. Robertson recommença plusieurs fois durant la soirée à invoquer les morts, dont Marat et Robespierre. Il pratiqua par la suite ses séances place Vendôme, dans l’ancien couvent des Capucines. La chapelle, abandonnée parmi les pierres tombales, au milieu du cloître, donna le ton. Les images lugubres, les tentures noires et les peintures mystérieuses qui ornaient les lieux, ainsi que le silence absolu et la faible lumière de l’endroit, rendirent les apparitions plus effrayantes, à supposer que cela fût encore possible… Les journaux de l’époque écrivirent de nombreux articles relatant les scènes d’épouvantes du thaumaturge. Inutile d’ajouter, qu’après avoir assisté aux scènes macabres du "fantasmagorien", celles-ci restaient gravées à tout jamais dans les mémoires ! Je dois avouer que j’ai une affection particulière pour Robertson, car il est un peu l’ancêtre du bizarriste.

Année "sabbatique"

Je poursuis ma route, emprunte le chemin des Dragons et tombe nez à nez avec l’imposant mausolée de la Princesse Marie-Elisabeth Demidoff, véritable temple de marbre soutenu par dix colonnes. Personnalité excentrique, son testament ne le fut pas moins. Elle proposa de léguer une partie de sa fortune à quiconque passerait un an dans le caveau en compagnie de sa dépouille ! Des personnes ont tenté l’expérience et, aujourd’hui encore, certains postulent à ce défi… Dois-je préciser que nul n’a réussi cette épreuve macabre ? Si l’idée de tenter l’aventure vous effleure l’esprit, sachez que la direction du cimetière refuse aujourd’hui toute candidature.

Une virilité qui ne laisse pas de bronze…

Je me dirige maintenant vers la tombe de Victor Noir (division 92), ce jeune journaliste de 22 ans que le prince Pierre Bonaparte assassina d’un coup de revolver en 1870. D’après certains, cette tombe est la plus visitée du cimetière. Face à ce gisant de bronze magnifique, je remarque qu’il est curieusement lustré à certains endroits de son anatomie, lustrage témoignant du culte insolite qui lui est voué, comme j’allais l’apprendre…

Sculpteur de son état, Jules Dalou qui réalisa cette statue d’une remarquable qualité artistique sculpta une surprenante proéminence à l’endroit de la virilité de Victor Noir. Ce gonflement suscite bien des fantasmes depuis plus d’un siècle maintenant. On raconte que ce gisant confère d’étonnantes vertus. Entre autres, celle qui caresserait ses parties intimes serait assurée de trouver un homme viril.

Ou encore, elle serait assurée de se marier dans l’année. Cet endroit lustré par des milliers de mains féminines n’est pas le seul endroit patiné, car en y regardant de plus près, on s’apercevra que le visage et les pieds ont subi le même sort… et même beaucoup plus ! Quand le cimetière se vide, loin des regards indiscrets, certaines amazones se livrent à des jeux érotiques très osés, jusqu’à s’empaler et à chevaucher ce corps de bronze. Étrange culte que voilà…

Alors que je réalise soudainement que des milliers de corps sans âme reposent sous mes pieds, un frisson me parcourt l’échine. Et pourtant, ils ont été ce que nous sommes et nous serons un jour ce qu’ils sont. Ainsi en est-il de la marche du monde, un éternel recommencement. Si ces corps, aujourd’hui devenus poussière, fertilisent le sol de la cité des morts, leurs âmes habitent l’atmosphère chargée de cette nécropole. Nul besoin d’être médium pour s’en rendre compte. Au détour de chaque sépulture, au coin de chaque chemin, je sens leur présence parfois sereine, souvent mélancolique.

Révolution à retardement

Lieu mystique s’il en est, ce territoire des morts abrite en son sein des personnages qui ne le sont pas moins. Est-il besoin de présenter celui qui fut peut-être le plus grand occultiste du début du 20ème siècle ? Grand Maître de l’Ordre Martiniste, fondateur de l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, le docteur Gérard Encausse, plus connu sous le nom de Papus, était redouté et respecté par les hommes de son temps, qu’ils soient politiques, religieux ou artistiques. On lui octroyait volontiers des pouvoirs incommensurables. Auteur de nombreux ouvrages de référence sur le sujet - que je vous recommande -, ses idées à l’odeur de soufre déclenchaient souvent l’hostilité des pensées les plus conservatrices. En automne 1905, à Tsarskoie Selo, il invoqua l’esprit d’Alexandre III, à la demande de Nicolas II aux prises avec les troubles sociaux. Durant le rituel de haute magie, Alexandre III prédit, par l’intermédiaire de Papus, la répression et une grande révolution. Cependant, cette révolution n’éclaterait pas, selon lui, du vivant du Tsar. Et l’histoire, comme nous le savons, lui a donné raison. Cette énigmatique anecdote n’est qu’un des nombreux phénomènes parmi tant d’autres qui parsemèrent sa vie. L’existence de cet érudit, ce mage au sens noble du terme, est couverte d’un voile de mystère. Incliné devant sa tombe, son portrait semble me fixer et transpercer mon âme. Étrange sensation qui n’est pas des plus agréables. Je m’éloigne avant de sombrer définitivement sous l'emprise du mage…

De l’autre côté du miroir

Je vagabonde au hasard, seulement guidé par mes émotions dans ce labyrinthe de pierres funéraires. Je n’ai vu nul spectre jusqu’alors, mais je dois dire que le charme romantique de ce lieu m’envoûte profondément. Et je m’attends à voir surgir à tout instant parmi ces tombes, quelques habitants de l’autre monde. Je croise d’étranges fantômes de pierres qui semblent m’épier, tellement ils paraissent vivants ! Ces fantasmagoriques statues spectrales veillent-elles sur le royaume des morts ? Empêchent-elles les vivants de passer de l’autre côté du miroir ? J’ose le croire… car enfin, existe-t-il une vie dans l’au-delà ? Avons-nous la possibilité d’entrer en contact avec l’âme de nos défunts ? Autant de questions qui suscitent la réflexion, autant de questions auxquels certains ont tenté de répondre. Depuis l’aube de l’humanité, l’homme a toujours essayé d’entrer en contact avec ses morts, ne serait-ce que par l’évocation de ces derniers, c’est-à-dire par le biais de la nécromancie…

Par l’odeur de soufre qu’elle véhicule et la frayeur qu’elle inspire, le peuple resta éloigné de cet art macabre. Savant et théosophe du 18ème siècle, Emmanuel Swedenborg affirma grâce à ses visions qu’il existe, au-delà de notre réalité, un monde des esprits avec lequel il est possible de communiquer. Cependant, il fallut attendre le 19ème siècle pour donner naissance à une nouvelle philosophie qui allait bouleverser le monde. Une philosophie fondée sur la croyance de l’existence et de l’enseignement des âmes des défunts avec lesquelles les simples mortels peuvent entrer en contact par l’intermédiaire d’un médium. Il s’agit du spiritisme.

Les clefs de l’au-delà

C’est en 1847 que tout a commencé. Deux adolescentes de quinze et douze ans, Margaret et Kate Fox, emménagèrent avec leur famille à Hydesville petit village de l’état de New York, en dépit du fait que la maison, abandonnée par le précédent propriétaire, fût hantée. Peu importe, l’auteur présumé des déplacements d’objets et des craquements amusa les deux enfants. Elles le baptisèrent Pied-Fourchu. Dans la nuit du 31 mars de l’année suivante, Pied-Fourchu se fit de plus en plus insistant. Par provocation, Kate lui demanda de répondre à ses questions. Étonnement, l’esprit répondit par une série de coups significatifs. Très vite, et par l’intermédiaire de l’alphabet, le dialogue s’établit entre les sœurs Fox et cette entité. L’esprit leur révéla qu’il était, durant sa vie terrestre, un homme répondant au prénom de Charles, qu’il avait été assassiné et que son corps avait été enterré dans la cave de la maison. On la fouilla et découvrit à plus d’un mètre de profondeur, quelques os et des cheveux. Mais ce n’était que 56 ans plus tard, que l’on retrouva avec effroi un squelette sous un des murs de la demeure. Léah, leur sœur aînée de 20 ans de plus, décida alors d’exploiter leur don. C’est ainsi que le 14 novembre 1849 se tint autour des sœurs Fox la première réunion de ce que l’on appela le spiritualisme, et que, Allan Kardec désigna plus tard comme le spiritisme. Contre monnaie sonnante et trébuchante, chacun pouvait communiquer avec un proche disparu trop tôt. Elles parcoururent ainsi les Etats-Unis et l’Angleterre : ce fut un immense succès. Cette nouvelle croyance vint s’étendre comme une traînée de poudre à travers le monde occidental. Et rien ne put l’arrêter !

Le cimetière du Père-Lachaise, frontière entre le monde des vivants et le territoire des ombres, détient certainement une clé pour ouvrir cette porte sur l’au-delà. Est-il besoin de rappeler que ce lieu de culte est la dernière demeure terrestre de nombreux spirites ? Bonne Maman, Delanne, Leymarie et bien sûr Allan Kardec y ont tous élu domicile. Est-ce un hasard ? En partant sur leurs traces, je vais peut-être le savoir…

Derrière une grille de fer forgée, une sépulture à l’allure toute simple : celle de Gabriel Delanne. Auteur de plusieurs ouvrages sur la philosophie spirite dont entre autres "Le spiritisme devant la science", "Le phénomène spirite", et "L’âme est immortelle", il sut apporter aux profanes une compréhension simple de l’autre monde qu’est le spiritisme.

Témoin direct durant son enfance des séances spirites que pratiquaient ses parents, Gabriel Delanne resta persuadé toute sa vie de l’immortalité de l’âme. Par ses talents de grand guérisseur, sa tombe, fleurie en permanence, reste très visitée.

Je continue de suivre les allées du Père-Lachaise, et sans savoir pourquoi, quelque chose me pousse à quitter le chemin principal. Je déambule parmi les sépultures quand soudain, je me trouve face à un petit dolmen fleuri sur lequel est gravé : « mourir, c’est quitter l’ombre pour entrer dans la lumière ». Intrigante coïncidence puisque c’est ici que repose Pierre-Gaetan Leymarie, médium et disciple d’Allan Kardec. On dit de lui qu’il n’est pas mort mais désincarné… Toujours est-il que l’endroit semble animé d’une vie propre.

Tu étais druide et t’appelais… Allan Kardec !

Il me reste à me diriger vers le fondateur et théoricien du spiritisme, le maître en la matière… Allan Kardec (44ème division). Je fais confiance à mon 6ème sens et me laisse guider par celui-ci. Brusquement, je me sens inexorablement attiré vers un point donné, que j’ignore encore. À travers cette nécropole, je laisse mes jambes me porter et mon esprit vagabonder. Je ne peux m’empêcher de penser au "Livre des esprits"…

"Le livre des esprits", ouvrage spirite bien connu, est peut-être lui aussi une porte vers cet inconnu… Dicté par des esprits "supérieurs", cet ouvrage aurait une particularité bien singulière. Beaucoup ont cru qu’en touchant ou en portant le livre des esprits sur soi, il permettrait à leur âme de s’enrichir de sa substance. Peut-être… peut-être pas ! Toujours est-il que ce livre qui a connu plus de cinquante rééditions entre 1857 et 1907 fut condamné au bûcher par l’évêque de Barcelone. Mais il était trop tard car les textes qu’il contenait envahirent l’Europe occidentale. Qui est donc l’auteur de cette œuvre sulfureuse ?

Léon Denizart Hippolyte Rivail, docteur en médecine, fut un cartésien convaincu. Issu d’une famille catholique de magistrats, il vit le jour à Lyon le 3 octobre 1804. Pour assurer sa subsistance, il donna des cours d’anatomie, de physique, de chimie et d’astronomie, sans oublier l’édition de ses ouvrages sur des sujets divers, tels que l’arithmétique et la grammaire française. Un jour de printemps de l’année 1854, il assista, par complaisance et par amitié, à une séance de table tournante organisée par M. Fortier, magnétiseur. Séance mondaine que l’on pratiquait régulièrement à cette époque. M. Rivail écrivit dans un de ses livres : « Quand on se met à étudier les sciences, la crédulité superstitieuse des ignorants fait rire et on ne peut plus croire aux fantômes ». Lui l’incrédule n’était pas convaincu par ces futilités qu’il regardait de haut.

Une année plus tard, il rencontra un certain M. Pâtier, qui lui parla des esprits d’une façon mesurée et modérée. Malgré son scepticisme, il commença à douter. Ce même homme le fit assister à une séance d’écriture automatique chez une de ses amies, Mme Plainemaison. Rivail raconta : « Ce fut là que, pour la première fois, je fus témoin du phénomène des tables tournantes, sautantes et courantes, et cela dans des conditions telles que le doute n’était pas possible ». Il se promit d’étudier et d’approfondir de manière objective ces prodiges et devint, dans le même temps, un assidu des séances spirites. Il observa, analysa, compara et déduisit.

Pourtant, un soir, une séance bouleversa sa destinée. Par l’intermédiaire de Mme Japhet, médium, un esprit dénommé Zéphir, lui affirma l’avoir connu dans une vie antérieure : « nous vivions ensemble dans les Gaules. Nous étions amis. Tu étais druide et tu t’appelais… Allan Kardec ». Et c’est sous ce nom d’Allan Kardec, poursuivit Zéphir, que tu devras « de nouveau guider les hommes sur le chemin du salut ». Dès lors, Rivail rebaptisé Allan Kardec, se retrouva sous l’emprise des esprits. Par l’intermédiaire de Zéphir, ils allaient lui dicter une œuvre monumentale de plus de cinq cents pages ayant pour titre : "Le livre des esprits". Œuvre philosophique, elle pose les bases de la doctrine spirite et explique le passé, le présent et le futur de l’être humain. Cet ouvrage eut un succès considérable. Férocement critiqué par l’église catholique, Allan Kardec se dressa contre les autodafés dont ses livres furent victimes en Espagne : « On peut brûler des livres, mais pas des idées ». Il faut savoir que Kardec donna beaucoup plus d’importance aux messages des esprits qu’aux phénomènes, aussi étranges furent-ils : « On peut se moquer des tables tournantes, mais on ne se moque pas de la philosophie, de la sagesse et de la charité si évidentes dans les communications sérieuses ». Un beau jour, les esprits révélèrent à Allan Kardec que sa vie terrestre allait prendre fin en 1869. Ce fut le cas...

Sur sa sépulture, on peut y lire une inscription :

« Naître, mourir, renaître encore
Et progresser toujours :
Telle est la loi. »

Est-il vraiment mort ? Il ne fait aucun doute que son enveloppe charnelle est retourné à la poussière, mais peut-être que son âme survit, quelque part dans notre réalité, sous une autre forme. Une certitude cependant : la mémoire d’Allan Kardec est aujourd’hui vénérée par des millions de personnes à travers le monde.

Je sors soudainement de mes pensées et prends conscience que mon corps m’a amené devant un dolmen incroyablement fleuri. Sous ce dolmen, un buste. Sur ce buste en bronze un nom gravé… celui d’Allan Kardec. Face à ce buste, une femme. Le bras tendu et la main posée sur le visage impassible du médium, elle semble effectuer un étrange rituel en psalmodiant d’incompréhensibles paroles. Elle est ailleurs. Et comme les milliers de personnes qui viennent du monde entier sur cette sépulture, elle espère ouvrir, en touchant le visage de bronze de Kardec, la porte du monde de l’invisible et ainsi pouvoir entrer en contact avec ses chers disparus. Car il faut bien le dire, Allan Kardec est considéré comme un esprit guide. Il est le pont qui relie notre monde à l’autre monde et, quotidiennement, de nombreux adeptes de cette religion se recueillent sur la tombe du fondateur du spiritisme pour lui demander conseils et aide.

Je reste planté là devant cette construction mystique d’où se dégage une certaine force quasi-surnaturelle. Après quelques minutes, je m’éloigne et observe à l’écart cette étrange sépulture. Durant la demi-heure qui suit, ce sera un défilé incessant de personnes semblant effectuer le même rituel. Je continue mon chemin…

Un presse-papier indécent

Avant de me rendre sur la tombe de Gérard de Nerval, je fais un détour par la tombe d’un de mes auteurs favori : Oscar Wilde (division 89). L’auteur de l’inoubliable "Portrait de Dorian Gray" et du "Fantôme de Canterville" est plus "vivant" que jamais. La multitude de traces de rouge à lèvres qui couvrent sa sépulture attestent de la présence de nombreux admirateurs qui viennent rendre hommage à sa mémoire. Les employés du cimetière ont beau régulièrement nettoyer ces marques sensuelles, elles réapparaissent en permanence.

Pour la petite histoire, sachez que les parties génitales de la sculpture qui ornent la dernière demeure de ce génie furent "amputées" par deux vieilles dames qui trouvaient l’œuvre indécente. Aujourd’hui, elles (les parties !) reposent sur le bureau du directeur du Père-Lachaise et servent de presse-papier !

Une nuit froide et blanche

Auteur torturé et passionné par l’occulte, Gérard de Nerval (division 49) a laissé lors de son passage sur terre quelques œuvres littéraires fantastiques imprégnées de mysticisme. Une simple colonne agrémente la tombe de celui qui connu une fin étrange et dramatique.

Le 25 janvier 1855, avant de sortir, il laissa un mot énigmatique à sa tante chez qui il logeait : « Ne m’attends pas ce soir pour dîner, la nuit sera froide et blanche ». Au petit matin du 26 janvier, rue de la Vieille-Lanterne à Paris, on découvrit avec horreur, le cadavre pendu du poète maudit. Sur sa poitrine bleuie par un froid de -18°C se trouvaient dessinés à l’encre plusieurs symboles de la Cabale et le fameux pentagramme de Salomon. Face à sa tombe, je pense à cette mort bizarrement mise en scène.

Lorsqu’un homme d’une cinquantaine d’années m’aborde. Il me parle des œuvres et de la vie de l’auteur et me demande à demi-mot si je crois aux fantômes ! Je lui explique qui je suis et ce que je fais. Rassuré, il se confie plus en profondeur. J’apprends que cet homme fréquente cette nécropole depuis plus de vingt ans et qu’il fut le témoin de visions troublantes. La première d’entre elles fut la présence d’un homme vêtu à la mode du 19ème siècle qui s’évapora derrière la tombe de Nerval. Après vérification, il apparut que cet étrange personnage était le portrait craché du poète ! Il m’avoue aussi qu’il croisa par deux fois le spectre du musicien Chopin (division 11). Enfin, il m’apprend que, régulièrement et à proximité du mausolée du chocolatier Menier (division 67), des effluves de chocolat se font sentir. Une hantise olfactive ! Mais cet homme affabule-t-il ? Ou est-ce un sensitif très doué ? Après enquête, je découvre qu’il n’était pas la seule personne à avoir été témoin de la hantise du chocolatier et du fantôme de Chopin. Il semble d’ailleurs que l’apparition du musicien soit récurrente. En revanche, je n’ai pas trouvé d’autres témoignages concernant le spectre de Gérard de Nerval.

La dame en noir

Je quitte ce visiteur passionné et continue mon périple au royaume des morts. En chemin, je croise un homme à l’allure étrange qui semble en grande conversation. Seul problème - et quel problème ! -, il semble s’adresser à un interlocuteur… invisible ! Est-il fou ou parle-t-il avec un spectre ? Son regard vide me fait pencher pour la première option. Je n’insiste pas et je poursuis ma route.

Il apparait cependant que ce cimetière est habité par une multitude de vivants plus bizarres les uns que les autres. C’est ainsi que dans la partie romantique de la nécropole, je croise une femme en habit de deuil. Elle est vêtue d’un voile et d’une robe en dentelle de l’époque victorienne. Vu le certain âge de cette dame, je doute qu’elle soit ce que l’on appelle aujourd’hui une "gothique". Est-ce une apparition venue d’un autre siècle ? Je me renseigne auprès d’une de mes connaissances qui connait bien l’histoire du cimetière et apprends que cette femme déambule régulièrement parmi les tombes, toujours accoutrée de cette façon. Personne ne sait qui elle est et d’où elle vient. La seule chose que l’on connaisse à son sujet est qu’elle n’adresse la parole à personne. Les vivants peuvent être, à leur façon, des fantômes, comme nous le montre cette femme étrange.

Mort ou vif

Mon voyage touche à sa fin car je sais que je n’aurai plus assez de temps pour tout visiter. Cependant l’évidence est là : ce lieu est habité par une multitude d’entités. Il suffit d’être vigilant pour sentir leurs ombres passer dans votre dos. Il suffit d’être à l’écoute pour entendre leurs voix mélancoliques qui chuchotent à nos oreilles. Je quitte ces fantômes venus d’un ailleurs où l’une des portes serait cette vaste nécropole, cet endroit mythique et mystique où l’unique destination est le royaume des ombres, cette contrée qui a pour diminutif le "Père-Lachaise". Il se fait tard et les portes vont bientôt fermer. Je quitte, à regret, cet autre monde mais je reviendrai… mort ou vif !

E. F.

>> Les Mystères de Paris - 1ère partie

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Pour organiser votre visite :

>> Le site officiel du cimetière du Père-Lachaise

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© Crédits photographiques : Philippe Prost et Olivier Valentin

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