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D’après les
marins, même les plus confirmés, la mer a toujours été
indomptable. Océan-berceau, elle est source de vie. Mais, force
de la nature, elle peut parfois briser les destins. Navigateur
de l’étrange, Erick Fearson a sillonné les mers du Nord, à bord
du Princess Danae, pour une croisière de la Norvège à
l’Islande. Revenant sur ses longues semaines d’expédition dans
des lieux froids et reculés, il ouvre son journal de bord aux
lecteurs de Maison-Hantee.com. Au fil de l’eau sombre et des
récifs hantés, sa plume et son esprit vagabond nous emmènent à
la découverte des secrets de la mer mystérieuse : vaisseaux
fantômes, monstres aquatiques, navigateurs de l’impossible,
histoires paranormales sur de célèbres naufrages,… Profitant de
ce périple dans des régions où les légendes et les créatures
mythologiques abondent, il nous fait embarquer sur son bateau
fantôme... |
Par Erick Fearson
Mardi 1er juillet
15h00
Entre ciel, terre et mer, je suis là,
assis sur les galets d’une plage, à proximité de Dieppe. Je fixe la
grande bleue avant de l’affronter, dans l’espoir, peut-être, de percer
quelques-uns de ses mystères…
C’est d’ailleurs ici même, qu’en août
1951, deux anglaises ont vécu l’incroyable. Petit retour en arrière…
Par une nuit d’été, deux femmes, en séjour
à côté de Dieppe, sont réveillées vers quatre heures du matin par des
bruits assourdissants : coup de feu, éclats d’obus, bombardements, cris
de soldats, gémissements de blessés et de mourants… Étrangement, dehors,
aucune scène de combat n’accompagne ce vacarme spectral qui dure presque
trois heures ! Le lendemain, les deux anglaises se renseignent. Elles
apprennent qu’aucun combat n’eut lieu dans les environs cette nuit-là et
que personne n’a entendu quoi que ce soit. Cependant, elles découvrent
aussi que leur lieu de villégiature se situe sur une plage qui, durant
la seconde guerre mondiale, fut occupée et fortifiée. Plus étrange
encore : neuf ans auparavant, presque jour pour jour et très exactement
à cet endroit, les Alliés prenaient d’assaut la plage. Ce fut un fiasco.
Plus de la moitié des 6 000 soldats qui atteignirent la plage par la
mer, le 19 août 1942, furent tués, blessés ou faits prisonniers. Ce
qu’ont entendu les deux touristes anglaises cette fameuse nuit fut la
réplique exacte de la dramatique bataille s’étant déroulée quelques
années plus tôt. Les bruits entendus tout comme les horaires
correspondent en tout point à la description du carnage !
Glissement temporel ou hantise auditive ?
Peu importe, mais une chose est sûre : il règne à cet endroit une infime
mélancolie que je peux ressentir. Cependant, je ne m’attends pas à
revivre auditivement cette bataille, car il fait jour – il est quinze
heures - et je sais que je dois attendre la nuit pour que se manifeste
l’invisible.
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Comme si, tel un vampire des Carpathes, le mystère avait
besoin de l’obscurité pour opérer. Et il m’est impossible de passer la
nuit ici, car demain je prends la mer. Un long voyage m’attend dans des
contrées où peu d’hommes ont mis les pieds. Un territoire de terre, de
feu et de glace où l’invisible le dispute au visible qui ne semble plus
être qu’un rêve… Un univers peuplé de créatures surnaturelles, plus
nombreuses que les hommes : trolls, elfes, nains, serpents des mers et
fantômes y sont légion. |
Ce voyage promet d’être riche en
enseignements. Je sais que ce périple de plusieurs semaines en pleine
mer, avec quelques escales hors de toute civilisation, sera aussi un
voyage intérieur… Un voyage surnaturel au cœur de la nature. Je quitte
cette plage maudite…
Mercredi 02 juillet
14h30
Port de Dunkerque. Sur le quai, j’aperçois
au loin le Princess Danae, ce navire qui va m’emmener vers les
contrées glacées du nord. On embarque. Je salue quelques marins et des
amis que je connais déjà et rejoins ma cabine. Le départ est prévu pour
18 h 30. Ce qui me laisse largement le temps de m’installer et d’étudier
mon carnet de route et les diverses cartes de mon voyage.
18h30
Le Princess Danae met le cap sur la
Norvège. Du pont supérieur, je regarde le quai s’éloigner. Perdu dans
mes pensées, je n’ose imaginer ce que je vais découvrir dans les
semaines qui vont suivent. Vais-je être confronté au monde de
l’invisible sur ces terres hostiles ? Je le souhaite vivement. Durant
mes longues journées de mer, et avec un peu de chance, peut-être
croiserai-je aussi le chemin de quelques vaisseaux fantômes. Car les
spectres peuplent aussi les océans. Le Hollandais Volant,
célébrité parmi les bateaux fantômes, n’est pas le seul à sillonner les
mers du globe… |
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Mais la légende du Hollandais Volant
a-t-elle quelques fondements ? Entrons dans le brouillard…
1680. A bord de son navire, le capitaine
Hendrick Vanderdecken lève l’ancre à Amsterdam pour Batavia situé dans
les Indes orientales. Sur le trajet, une tempête s’annonce. Vanderdecken
peut l’éviter mais, au lieu de cela, il file, toutes voiles dehors, vers
la catastrophe. Pourquoi agir ainsi ? Le diable lui serait apparu en
rêve. Arrogant à l’extrême, Vanderdecken choisit d’ignorer le mauvais
présage. Pire : il choisit de le braver et condamne le navire au fond
des océans entraînant ainsi la mort de l’équipage. Pour cette attitude,
Dieu l’aurait condamné à errer sur les mers jusqu’au jugement dernier…
Voici la légende. Mais l’histoire trouve
ses racines dans un fait bien réel. L’histoire est la même, sauf que le
capitaine avait pour nom Bernard Fokke. Il vécut à Amsterdam au 17ème
siècle. Sa réputation sulfureuse s’étendait au-delà des océans. Homme
violent, paillard et anticlérical, il était craint de tous les marins
et, selon ces derniers, il avait pactisé avec le diable.
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Un jour, il
prit la mer pour un voyage sans retour. On murmurait que Satan
en personne était enfin venu chercher son dû. Un mois après sa
disparition, de nombreux marins ont affirmé avoir croisé le
navire maudit et son capitaine à l’âme noire. Mais, à chaque
fois que les navires tentaient de s’approcher du bateau fantôme,
ce dernier disparaissait mystérieusement. Depuis ce temps, tous
les marins s’accordent à dire qu’il doit errer jusqu’à la fin
des temps, hantant ainsi les mers du globe… Ainsi, un aspirant du navire anglais HMS Bacchante a
aperçu le Hollandais Volant. Il s’agissait du Prince de Galles,
le futur Georges V. |
En Afrique du Sud, à Glencairn Beach, on rapporte le
témoignage stupéfiant d’une douzaine de baigneurs. Ils affirment avoir
vu le navire spectral dans ses moindres détails glissant toute voiles
dehors alors qu’il n’y avait pas un souffle de vent. C’était en
mars 1939.
Les témoignages abondent. Si toute cette
histoire n’est qu’un simple mythe, comment expliquer que de nombreux
marins de la planète affirment, encore aujourd’hui, avoir aperçu le
funeste navire ?
Il est presque 20 heures. Je dois me
préparer pour le dîner où je dois être présenté à quelques richissimes
clients qui attendent mes services de mentaliste durant ce long voyage…
Jeudi 3 juillet
Je me lève tard. Aujourd’hui est une
journée de pleine mer. Il n’y a donc aucune escale. Ce temps libre me
laisse le temps d’étudier mes dossiers et ainsi préparer mon expédition
aux frontières de l’étrange. Je prends aussi le temps de flâner dans les
coursives et sur les différents ponts du bateau.
Il est 14 heures 30 et je viens d’achever
mon déjeuner. La mer est calme et le temps au beau fixe. Avant de
rejoindre ma cabine, je prends l’air sur le pont supérieur en perdant
mon regard sur l’étendue d’eau qui s’offre à moi. Dans ce contexte, ma
mémoire se réveille et fait remonter, à la surface de ma conscience,
quelques histoires de bateaux fantômes qui ont bercé ma jeunesse…
Nous sommes en 1861. À Spencer Island, en
Nouvelle-Ecosse, au Canada, on s’apprête à lancer le brick Amazone,
un magnifique voilier sur lequel plane une malédiction. Le malheur
commence avec la mort de son premier capitaine qui trépasse 48 heures
après avoir pris ses fonctions. Depuis cette funeste journée, le mauvais
sort s’acharne sur le navire plusieurs années durant. Lors de voyage
inaugural, l’Amazone heurte un barrage de pêche et abîme sa
coque. Alors en réparation, un incendie se déclare à bord et brûle
gravement son deuxième capitaine. Les ennuis continuent pendant sa
troisième traversée de l’Atlantique : il percute un bateau dans le
Détroit de Douvres. Le navire maudit finit par faire naufrage à
Terre-Neuve, très exactement à Glace Bay, où on l’abandonne à son triste
sort. Est-ce la fin de cet oiseau des mers ? Non, car le pire est à
venir…. |
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Une grosse société américaine le renfloue,
le répare et l’envoie aux Etats-Unis. Là-bas, on le rebaptise d’un nom
qui restera célèbre dans l’histoire des navires fantômes : La Marie
Céleste.
1872. Le capitaine Benjamin Briggs, homme
rationnel et de bon sens, achète la Marie Céleste, ignorant
sciemment la malédiction. Le 7 novembre de cette même année, il embarque
avec sa femme, sa fille, sept hommes d’équipages et une cargaison
d’alcool d’une valeur de 30 000 dollars. Départ de New-York, cap sur
l’Europe.
Le 4 décembre, un navire anglais, le
Dei Gracia, croise la Marie Céleste à 600 miles au sud du Portugal.
Quelques marins montent à bord et se trouvent confrontés à une énigme :
personne ! Plus aucune trace de vie ! Un baril d’alcool est ouvert, mais
le reste de la cargaison est intacte tout comme les coffres et les
effets personnels de l’équipage. Le journal de bord n’évoque aucune
catastrophe, excepté la dernière phrase inachevée et énigmatique :
« il nous arrive une chose étrange... ». Un morceau de bastingage
arraché repose à l’endroit où la chaloupe de sauvetage aurait dû se
trouver. C’est le seul indice de ce mystère insondable. Certains
racontent que seul un chat noir fut retrouvé et que l’harmonium du
navire jouait seul ! Que s’est-il passé ? Que sont advenus le capitaine
Briggs, sa famille et son équipage ? On ne le saura sans doute jamais.
Mais toujours est-il que les marins du monde entier croisent parfois le
chemin de la Marie Céleste. Ou, du moins,…son fantôme !
Nouveau rebondissement dans cette
affaire : l’épave du navire maudit fut retrouvée en août 2001 sur un
récif au large de la côte d’Haïti. Je serais maintenant curieux de
savoir si les marins croisent toujours sur les océans le fantôme de la
Marie Céleste ?
Il est 16 heures. Je me retire dans ma
cabine pour retrouver la concentration nécessaire à mes expériences de
mentalisme prévues pour 17 h 30. Tout se passera bien…
Vendredi 04
juillet
13h00
Escale à Bergen, deuxième ville de Norvège
par son importance. Elle se situe dans un fjord bien abrité. J’adore
cette ville où j’aurais l’opportunité de m’y rendre une vingtaine de
fois. On croise des trolls de toutes tailles, à tous les coins de rue !
Impossible de les éviter. Ils m’accompagnent à chaque instant.
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Mais je sens leur présence plutôt
bénéfique. Je déambule dans la vieille cité parmi ces maisons
traditionnelles en bois, âgées de plusieurs siècles. Incroyable
atmosphère qui me projette dans le passé. Ambiance parfois
mélancolique et pesante mais plus souvent amicale et sereine. Il
ne fait aucun doute que le quartier est habité par
d’innombrables spectres. Je sens leur présence... Femmes, hommes
et enfants : ils sont nombreux à avoir vécu et à avoir rendu
l’âme ici. De quoi sont-ils morts ? Objectivement, je n’en sais
rien, mais mon sixième sens me chuchote que certains ont péri
vraisemblablement par les flammes alors que d’autres – nombreux
– ont succombé à une terrible épidémie. Peut-être ferais-je bien
de me renseigner auprès du voisinage. Mes premières recherches
se révèlent infructueuses, mais je finis par trouver un
sympathique commerçant qui connaît l’histoire de Bergen. |
Je ne comprends pas tout de ce qu’il me
dit car il parle vite. Cependant, je retiens quelques informations. La
ville fut la proie des flammes de nombreuses fois. Les derniers
incendies datent du milieu du 20ème siècle. L’incendie de 1702 a ravagé
quatre-vingt pour cent de la ville ! En 1756, ce sont encore 1 600
maisons qui partirent en fumée. Le feu est d’ailleurs la véritable
hantise des Bergenois, car si un nouvel incendie se déclarait dans le
quartier de Bryggen – là où je me trouve – ce serait un véritable
cauchemar. Les maisons flamberaient les unes après les autres en un
temps record ! Notons que ce quartier est classé patrimoine mondial de
l’humanité par l’Unesco. Je comprends mieux maintenant le sentiment que
j’ai eu lors de mes déambulations entre ces maisons. Quant à la terrible
épidémie, ce fut la peste noire au 14ème siècle. Effroyable ! Elle fit
de nombreuses victimes. D’ailleurs, le fantôme de la terrifiante peste
noire est personnifié par une vieille femme qui voyage à travers le pays
avec un râteau et un balai. Quant elle utilise son râteau, certains ont
la chance de survivre à l’épidémie, mais quand elle utilise son balai,
il ne peut y avoir de survivant. Je poursuis ma visite dans la ville
norvégienne avant de retourner à bord.
Nous quittons le port à 19h00, direction
Geiranger, l’un des plus beaux fjords du pays et aussi le plus étroit.
Une nouvelle fois, la mer s’étend à perte de vue. Je scrute avec
assiduité cet immense désert d’eau, peut-être dans l’espoir de croiser
un monstre aquatique. Car ici dans les pays nordiques, les créatures
marines fabuleuses ne manquent pas, ni les témoins qui affirment les
avoir aperçues.
Tel fut le cas en 1555 de l’Evêque
norvégien Olaus Magnus qui décrit sa rencontre avec un serpent de mer
fabuleux : « Ceux qui naviguent le long de la côte norvégienne
assurent tous d'une voix une chose épouvantable, que le long de la mer
de Bergen, un serpent à bien 60 mètres de long et 6 d'épaisseur. Il sort
la nuit au clair de lune pour aller manger les agneaux, les pourceaux,
ou bien passe la mer pour aller manger les polypes, locustes et autres
sortes de poissons et cancres marins. Il a des yeux rutilants comme une
flamme. |
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Il se lance contre les navires pour aller dévorer
ceux qui sont dedans. Il a une masse de poils d'une coudée de long qui
lui pendent du cou, des écailles aiguës de couleur noire et des yeux
rutilants comme une flamme. On estime en ce pays que c'est un mauvais
présage quand on le voit courir sus aux personnes et que cela signifie
mort de prince ».
Dans les eaux glacées de la Norvège
grouillent de nombreuses créatures… et pas seulement en mer. Les lacs et
les rivières du pays regorgent aussi de tels monstres. Les plus connus
étant ceux du lac Mjøsa et du lac de Seljord. Cette dernière créature
est devenue avec le temps, l’équivalent de Nessie, le fameux monstre du
Loch Ness.
Évidemment, je sais pertinemment que je ne
croiserai pas ces monstres venus des profondeurs, mais je me plais à le
croire. Si je pouvais choisir, j’opterais pour une rencontre avec le
fameux fantôme des mers, le Draugen. Il est considéré comme étant le
fantôme d’un noyé ou la personnification de tous les hommes morts en
mer. Le Draugen est décrit comme un pêcheur sans tête, affublé d’un
ciré. Il navigue sur une embarcation endommagée et se lamente quand une
personne est sur le point de se noyer. Il ferait mieux de la secourir
plutôt que de s’apitoyer sur son sort. Mais, après tout, c’est un
monstre !
Vendredi 5 juillet
09h30
Une fois n’est pas coutume, je suis
matinal. Ceux qui me connaissent jugeront de la prouesse ! Car être
debout à 9h00 est pour moi un exploit. Je suis plutôt oiseau de nuit,
qui rejoint le monde des rêves quand l’aube s’éveille. Je suis donc
exceptionnellement matinal pour profiter de la navigation dans ce fjord
que l’on dit majestueux. Et il l’est, assurément ! Lui aussi est classé
patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
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Mon imagination me joue
des tours. Je vois Legolas, Fredon ou bien Gandalf. En effet, le décor
incroyable dans lequel je me trouve est en tout point identique au décor
du film "Le Seigneur des Anneaux". Pour la petite histoire, sachez que
Peter Jackson, le réalisateur de la fameuse trilogie, a tourné son chef
d’œuvre en Nouvelle-Zélande, contrée qui abrite des paysages identiques
à ceux de la Norvège dont Tolkien s’est inspiré.
Nous naviguons entre deux immenses parois
rocheuses. Du haut de ces murs de pierres, se jettent une multitude de
cascades aux noms évocateurs : Les Sept Sœurs, Le Voile de la Mariée et
Le Prétendant. Le spectacle est magique ! |
13h00
Le Princess Danae arrive enfin à
Geiranger. Au bout du ponton, trône un immense troll de presque 4
mètres, qui nous souhaite la bienvenue. Malheureusement, d’autres sortes
de trolls ont envahi le petit village. Nous sommes en pleine saison et
ces trolls, plus connu sous le nom de touristes, inondent l’endroit
telle la peste noire. De toutes nationalités, ces créatures entachent la
beauté du site. On reconnaît d’ailleurs le gnome français à sa vulgarité
et à sa particularité de parler plus fort que les autres.
Malheureusement, je n’ai pas le pouvoir d’éradiquer ce fléau. Seul
moyen : fuir ! |
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C’est ce que je fais en partant pour le glacier du Briksdal. Je longue le lac de Hornindal, le plus profond d’Europe (514
m), avant d’arriver au charmant village d’Olden. Je dois maintenant
marcher une bonne heure si je veux atteindre le pied du glacier. En
chemin, je passe à proximité d’une cascade - une autre ! - qui semble
habitée par les esprits de la nature. Peut-être par le Fossegrimen,
l’esprit des cascades. Grandiose ! La taille du glacier du Briksdal me
stupéfie et je prends conscience à quel point l’homme est bien peu de
chose. Conscience écologique oblige !
21h00
De retour à bord, le navire met le cap sur
Andalnes. Arrivée prévue à 7h00 demain matin.
Dimanche 06 juillet
13h00
Nous quittons Andalnes. Panne d’oreille !
Je dois l’avouer : je n’ai rien vu de l’endroit. La journée d’hier fut
épuisante. J’ai donc dormi toute la matinée. Je me lève quand le bateau
reprend la mer. La navigation promet d’être longue puisque nous quittons
la Norvège pour nous diriger vers l’Islande. Une escale est cependant
prévue demain dans les îles Féroé, à mi-chemin entre la Norvège et
l’Islande. Pour le moment, je me mets en condition pour les quelques
lectures de tarots prévues cet après-midi.
21h00
Après un bon dîner, je goûte l’atmosphère
cosy du piano-bar. Confortablement installé dans un fauteuil club, je me
laisse bercer par le roulis du navire et les notes mélodieuses, suaves
et mélancoliques de Chet Baker. J’échange mes histoires de fantômes avec
quelques clients qui sont fascinés par le sujet. Rapidement, j’oriente
la conversation sur les spectres qui peuplent les océans du globe. Je
leur conte alors l’étrange histoire du brick Palatin, immortalisé
par le poète John Greenleaf Whittier…
1752. Les ponts du Palatin, peuplés
d’émigrants en partance pour Philadelphie, appareille de Hollande. Mais,
sur sa route, le navire s’échoue sur l’île de Block au large de la
Nouvelle-Angleterre. Dans les entrailles du bateau, une mutinerie se
fait jour. L’équipage met le feu. Malheureusement, une passagère restée
à bord meurt dans l’incendie. Pendant longtemps, on entendra ses cris
déchirants résonner parmi les flammes. D’après le poème de Whittier,
l’épave du Palatin revient régulièrement sous la forme d’une
boule de feu surgissant de la mer :
« Regardez ! Voici encore, étincelante
et brillante
Au-dessus des rochers et de l’eau bouillonnante,
L’épave du Palatin ! »
Il y a cependant un problème ! Les
archives ne font aucunement mention d’un navire appelé le Palatin
qui aurait appareillé de Hollande. Cependant, la réalité dépasse souvent
la fiction. Car il existe un fait réel qui offre beaucoup de similitude
avec le poème de Whittier. En 1738, le Princesse Augusta lève
l’ancre de Rotterdam à destination de Philadelphie. Trois cent cinquante
passagers, originaires du haut et du bas Palatinat en Allemagne, sont à
bord. Mais le voyage s’annonce sous de mauvais auspices. Durant la
traversée, le malheur s’abat comme une chape de plomb sur le bateau. Une
provision d’eau polluée décime le tiers des passagers et la moitié de
l’équipage dont le capitaine George Long. L’Augusta affronte
ensuite une mer déchaînée et perd sa route. Comme si cela ne suffisait
pas, l’équipage raquette les passagers qui ont survécu aux événements.
Pour les passagers, la fin du cauchemar arrive le 27 décembre quand le
navire s’échoue sur la côte Nord de l’île de Block. Les insulaires
sauvent une grande partie des passagers. Mais ils sont dans
l’impossibilité de récupérer leurs bagages qui restent aux mains de
l’équipage. Le butin ne sera de toute façon pour personne, car l’Augusta
se brise et coule dans les noires profondeurs marines. Avec le bateau,
Mary Van Der Line meurt en serrant jusqu’à la fin son coffret de
vaisselle en argent. Sur les 364 personnes qui étaient à bord, 227 ont
survécu.
Peu après le naufrage de l’Augusta,
un navire passe à proximité de l’île de Block. Son capitaine affirme
avoir aperçu un bateau en feu. Son journal de bord le confirme :
« J’ai été si troublé par ce spectacle que nous avons suivi le navire en
flammes jusqu’à ce qu’il trouve son dernier repos au fond des eaux, mais
nous n’avons pas réussi à trouver de survivants ni d’épave ».
Depuis ce tragique accident, nombreux sont
les témoins qui ont vu une lueur spectrale hanter les abords de l’île de
Block. Aujourd’hui, ce phénomène a pris pour nom les « Feux du
Palatin ». Aaron Willey, un médecin de l’île, écrit en 1811 : « Parfois,
on a affaire à une petite lueur, semblable à celle que l’on voit à
travers une fenêtre éloignée, d’autres fois, on a affaire à une lumière
de la dimension d’un navire et qui en fait ressortir tous les détails.
Son éclat irradie réellement. L’origine de cette "lueur vagabonde"
demeure un curieux sujet de méditation philosophique ».
Comme on le voit, la pierre et le bois qui
constituent les demeures hantées ne sont pas les seules matières
capables "d’enregistrer" et de restituer sous forme d’images les
évènements passés. Comme l’affirment certains spécialistes, il semble
que l’eau aussi possède une mémoire. Dans ce cas précis, l’océan
projetterait à sa surface cette tragédie du 27 décembre 1738.
Lundi 07 juillet
16h00
Nous amarrons à Torshaven, capitale des
Féroé, archipel composé de 18 îles dont 17 sont habitées. Ce chapelet
d’îles est perdu au milieu de l’Atlantique Nord à 62° Nord, au
nord-ouest de l’Ecosse, à mi-chemin entre la Norvège et l’Islande.
Notons que Torshaven est la plus petite capitale du monde avec seulement
19 000 habitants. Je débarque sur ces terres austères dont les paysages
me font penser à la fois à l’Ecosse et à la Norvège. Le vent est glacial
et la pluie fine me cingle le visage. Sur ces terres reculées, la
température dépasse rarement 11° degrés Celsius en été.
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Il n’y a pas âme qui vive. Les rues sont
désertes. Le temps est compté car le bateau lève l’ancre à
21h00. Je dois faire vite si je veux glaner quelques
informations sur le monde de l’invisible. Je juge donc inutile
de me perdre au cœur de la campagne de façon aléatoire. Une des
meilleures techniques du chasseur de fantômes pour recueillir
rapidement de bons tuyaux, est de pousser la porte du pub du
village. Car autant l’avouer maintenant, la capitale a plus
l’allure d’un village portuaire que d’une grande ville. |
De plus, étant
trempé jusqu’aux os, un café bien chaud me fera le plus grand bien. Avec
un peu de chance, je rencontrerai bien quelques anciens, mémoires
vivantes du lieu, qui pourront m’aider. J’aperçois au loin une bâtisse
de pierre massive qui semble être le pub principal de la petite
bourgade. Je pousse la lourde porte en bois et je pénètre dans
l’atmosphère sombre mais chaleureuse de l’endroit.
Ambiance bruyante où les gens rient et
parlent fort. On dirait que tout le village est ici ! Je m’installe au
bar et tente d’établir le contact avec le barman et quelques clients
accoudés au comptoir. Ce n’est pas évident, car tous ici parlent le
Féroïen, une langue qui vient du Norrois, c’est-à-dire du vieux
scandinave. Heureusement pour moi, ils maîtrisent aussi la langue de
Shakespeare. Cependant, dès que je commence à évoquer le monde de
l’étrange, ils se montrent moins loquaces. J’aurais besoin de plus de
temps pour délier les langues et creuser les mystères des îles Féroé. À
mon grand regret, cela m’est impossible car je dois rejoindre le navire.
Je réussis quand même à voler quelques secrets...
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Les êtres qui peuplent en majorité ces
îles sont les Froddenskenten, que l’ont peut traduire par "êtres
qui vivent dans les profondeurs de la terre". Ce sont les cousins des Duergar de Scandinavie. Ces créatures sont supposées habiter l’intérieur
des montagnes dans lesquelles elles entrent par des passages invisibles.
Il faut se méfier des Froddenskenten car, comme les fées, ils sont
supposés enlever les êtres humains. "C’est déjà arrivé de
nombreuses fois !" m’affirme un vieil homme. Il me conte
l’histoire d’un homme qui fut enlevé par les esprits des
montagnes durant sept longues années. |
Quand ce pauvre bougre a refait surface,
il vivait constamment dans la peur d’être enlevé une nouvelle fois. Sa détresse était telle que ses
amis étaient obligés de le surveiller la nuit pour empêcher un nouvel
enlèvement. Il arrive aussi, que ces êtres enlèvent les jeunes hommes la
veille de leur mariage. Ces esprits prennent alors la forme d’une femme
séduisante à la beauté extraordinaire et tentent de persuader le futur
marié de quitter la future épouse.
Alors ? Faut-il croire à ces histoires
incroyables ? Le vieil homme semblait sincère. Et gardons à l’esprit que
chaque légende contient toujours une part de vérité. Cependant, je vous
laisse seul juge et vous invite à explorer vous-mêmes ces îles étranges,
où l’irrationnel est légitime et le rationnel un songe.
21h00
L’atmosphère rassurante du bateau
contraste avec l’étrangeté des Féroé. Il est temps de lever l’ancre et
de mettre le cap sur un territoire de glace et de feu. Une nuit et une
journée de navigation m’attendent avant de fouler les terres d’Islande.
A suivre…
E.F.
©
Photos : Erick Fearson et Olivier
Valentin |