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A la suite de Jean
Marigny et de Nicole Edelman, Claude Lecouteux a accepté de nous
rencontrer, à son bureau de la Sorbonne, pour parler de son roman Le
Mort aventureux (1), l’histoire cocasse d’un professeur décédé qui
découvre l’étonnante activité de son cimetière avant d’explorer
l’Au-delà. Spécialiste du Moyen-âge et des littératures germaniques, cet
anthropologue de renom décrypte les croyances, les mythes, les contes et
le légendaire de la mort, hors de portée des dogmes. Jouant habilement
de sa réserve universitaire, il nous confie son expérience des fantômes
et des revenants. Pour lui, il ne s’agit pas de croire ou non aux
phénomènes paranormaux mais de comprendre comment et pourquoi ils ont
marqué les siècles et les esprits. Désabusé par des émissions à
sensation, de type Mystères, il reste néanmoins sensible à
l’efficacité émotionnelle de certains témoignages surnaturels et
reconnait, avec amertume, que la France n’est pas le pays le plus en
accord avec ses mystères. Alors qu’il vient de publier une anthologie de
contes fantastiques (2), Claude Lecouteux fait partie de ces chercheurs
qui, devant une maison hantée, sont difficiles à convaincre mais
acceptent d’en pousser les portes avec l’enthousiasme d’un boyscout !
Propos recueillis par Olivier Valentin
Maison-Hantee.com :
Claude Lecouteux, vous êtes professeur de littérature et de civilisation
médiévales à l’Université de Paris IV-Sorbonne et auteur de plus de
trente ouvrages sur les légendes, les mythologies, le légendaire de la
mort et les créatures du folklore fantastique. Qu’est-ce qui vous a
conduit à enseigner la vie des revenants, des sorcières, des
loups-garous et des vampires aux étudiants de la Sorbonne ?
Claude Lecouteux :
C’est un sujet beaucoup plus sérieux qu’on ne le croit et qui rentre
tout à fait dans le cadre de l’anthropologie culturelle et de l’histoire
des mentalités. Or, les ouvrages sérieux sur ces questions, notamment
traitant du Moyen-âge, sont quasi inexistants. Pour les époques
modernes, à partir du 19ème siècle, on trouve de tout, mais
nous n’avons jamais essayé d’étudier, à la dimension historique et
diachronique, autrement dit au fil d’une longue évolution, les
croyances, les croyants et les conséquences sur leur vie quotidienne.
Or, à partir de textes et de fouilles archéologiques réalisées sur des
sites funéraires, j’ai dressé un panorama précis et stupéfiant des
histoires de fantômes et de revenants au Moyen-âge. J’ai donc pensé que
cela intéresserait les étudiants. Certes mon séminaire porte sur
l’anthropologie culturelle mais dès que je touche à ces sujets-là,
j’agrandis mon auditoire à des étudiants et des professeurs d’autres
disciplines.
Maison-Hantee.com :
Dans Le Mort aventureux, feu Armand Meztger, "voyageur en
instance de départ", se retrouve prisonnier d’un entre-deux-mondes qui
n’est ni l’enfer, ni le paradis, ni le purgatoire, et que seul le médium
peut explorer. D’où vous vient cette approche du trépas, l’étape
décisive qui permet de "gagner l’autre monde" ? D’une croyance
populaire ?
Claude Lecouteux :
Dans l’imaginaire germanique ancien, on croyait à la réincarnation.
C’est une conception de la mort aux antipodes de celle prônée par
l’Eglise ! Dès lors, la vie est indissociable de la mort. Ce que j’ai
voulu exprimer dans Le Mort aventureux. La mort est un exil
temporaire, d’où vous reviendrez en vous réincarnant dans l’un de vos
descendants, à condition qu’on lui donne votre nom ! Dans le cas
contraire, l’enfant pouvait succomber d’une maladie. C’est vous dire le
poids des croyances ! Et l’Eglise a tenté de tuer les revenants ! Si
vous prenez les dialogues de Grégoire le Grand, au Moyen-âge, les
revenants sont à nos côtés, sur terre. On leur parle ! Venant d’un pape,
c’est étonnant ! Puis, à partir du 11èmesiècle, l’Eglise a
tenté de les emprisonner dans son schéma manichéen : les morts chez les
morts (purgatoire, enfer et paradis), les vivants chez eux ! Sans
passerelle entre les deux mondes. La littérature des Révélations évoque
sans cesse des manifestations de morts auprès des vivants, même au 13ème
siècle, mais, la plupart du temps, en songes. Sinon, c’est du purgatoire
et ils laissent une trace indélébile de leur passage, comme une brûlure
par exemple. Un conseil : ne jamais serrer la main à un revenant !
Maison-Hantee.com : "Si
la mort n’est qu’un sommeil, les fantômes ne seraient-ils que des
défunts somnambules ? Des rêveurs poussés par la poursuite de leurs
préoccupations ?" Pourquoi leur avoir consacré un ouvrage qui porte sur
la période du Moyen-âge, en distinguant fantômes et revenants ?
Claude Lecouteux :
Afin de suivre la croyance sur la longue durée, je suis tout de même
parti de l’Antiquité pour aboutir aux temps modernes, mais tout en
consacrant la plus large partie de mon enquête au Moyen-âge, période
très mal connue. En effet, on fait souvent référence à un texte ou deux
mais cela reste anecdotique. Or, ce qui m’intéresse, c’est la manière
dont les populations de l’Europe occidentale et médiévale ont pensé leur
mort ? Car, du fait d’une christianisation plus ou moins avancée, selon
les pays et les siècles, les informations se recoupent et se complètent
dès lors qu’on dépasse les frontières "franco-françaises". Mon avantage
est de connaître toutes les langues germaniques. J’ai donc pu introduire
dans mon étude tout ce qui a été raconté dans les pays scandinaves, au
Moyen-âge. On trouve ainsi des textes qui n’ont pas encore été
"christianisés", reflétant avec fidélité les préoccupations mentales des
gens du 10ème au 12ème siècles, hors
considérations religieuses. L’Eglise n’ayant pas encore réussi à bannir
les revenants dans l’au-delà, ni à fabriquer son purgatoire qui associe
les fantômes à des âmes en peine, on côtoie les morts que rien ne
distingue des vivants. Ils ont trois dimensions, parlent, mangent,
copulent, enfantent, se battent et se vengent comme des humains ! C’est
le vrai revenant ! Que je distingue du fantôme ! Car même s’il a la
semblance d’un vivant, le fantôme est un être immatériel qui, au
Moyen-âge, se manifeste essentiellement dans les rêves ou les songes.
Même si le matin, en vous réveillant, vous avez la preuve qu’il est venu
vous visiter, soit en déposant un objet près de vous, soit en vous
blessant dans votre sommeil ! Il est impossible de l’attraper à
bras-le-corps ou de le tuer… une nouvelle fois ! En revanche, le
revenant est un mort vivant qu’on peut tuer une seconde fois ! Et même
définitivement, avec certaines méthodes…
Maison-Hantee.com : "La
vraie mort, c’est celle-là : ne plus avoir personne qui pense à vous,
partir sans laisser de traces." Croyez-vous que les fantômes reviennent
hanter les vivants pour les rappeler à leur bon souvenir ? Ou bien pour
les mettre en garde du danger qui les menace, ce qui fait dire à Metzger
"les vivants creusent leur tombe et dansent sur un volcan, il faut le
leur dire !" ? Autrement dit, pourquoi les fantômes sont parmi nous ?
Claude Lecouteux :
On ne peut pas oublier ceux qui reviennent. Parce qu’ils ont une raison
de revenir : le besoin d’être vengé, pour faire la morale à leurs
descendants ou pour demander quelque chose. D’autre part, une idée qui
m’est chère et sous-jacente aux études que j’ai menées : tant que le
souvenir du mort demeure, le mort vit. Et, quand le souvenir disparait,
le mort est "mythisé" : s’il a été un très bon mort, il se transforme
alors en une autre créature comme un elfe et, le cas contraire, en
nain ! Les textes scandinaves vont très explicites sur ces
métamorphoses.
Maison-Hantee.com : On
comprend mieux pourquoi, dans votre roman Le Mort aventureux, le
lecteur qui suit votre héros, au-delà d’un cimetière, bascule dans un
"Autre Monde", peuplé de créatures inspirées de Tolkien, dans des décors
à la Horace Walpole…
Claude Lecouteux :
Je voulais désarçonner le lecteur et le faire partager les aventures du
héros. Première partie : il est mort mais la mort n’est pas une fin. Il
y a une vie dans la tombe et une vie outre-tombe. Deuxième partie : il
passe dans un autre monde. Le but étant de montrer que, dans les temps
anciens, l’Au-delà n’est jamais unique. Etant imprégné de mes recherches
sur ces temps anciens, j’ai essayé de rendre compte de la pluralité de
l’Au-delà.
Maison-Hantee.com :
C’est-à-dire ? Chacun possède sa propre conception de l’Au-delà ?
Claude Lecouteux :
Non. Il n’y a pas qu’un seul Au-delà. Vous en avez un pour les
personnages fantastiques et féeriques. Un Au-delà des morts, qui n’est
pas le même. Etc. On fait d’ailleurs la distinction entre Au-delà et
Autre Monde, pour éviter les confusions, dans la mesure du possible.
Entre deux, il a des ponts dont l’un consiste en la transformation des
morts en personnages mythiques, tels que le nain, les elfes ou les fées.
Par exemple, les dames blanches sont des fées, sortes de fantômes
annonciateurs de mort, appelés banshees dans le folklore
celtique. Le légendaire de la mort, c’est donc un univers effrayant à
aborder car les informations partent dans tous les sens. Véritable
"archéologie mentale" comme l’appelle mon ami Régis Boyer (3), le vrai
travail est de trouver la cohérence interne de tous ces éléments
dispersés. Comme un gigantesque puzzle qu’on aurait jeté en l’air et
dont il faudrait aujourd’hui ramasser les morceaux. Pourquoi a-t-on
cru ? C’est cela qui m’intéresse ! Et j’ai fini par trouver une
explication : une conception de l’âme très particulière, qui dérive
directement du chamanisme. C’est vous dire si c’est ancien ! De là, on
embrasse la multiplicité des âmes dans le corps. Et, d’après les textes
et son vocabulaire, ce qui survivait et permettait au cadavre de vivre,
c’est son double !
Maison-Hantee.com : A
sa mort, Armand Metzger nous ouvre les portes d’un monde inconnu et
pourtant inévitable. Faut-il voir en lui un double de vous, ambassadeur
des vivants qui cherche des réponses au royaume des morts ?
Claude Lecouteux :
Pas du tout ! Pour une raison simple : quand vous êtes universitaire et
que vous travaillez sur des sujets, jugés sensibles par vos collègues,
au degré zéro sur l’échelle des valeurs universitaires, vous ne pouvez
pas vous mettre en scène. Donc, j’ai choisi un héros, avec un nom
parlant, un nom de charcutier. Pour un professeur d’anatomie
pathologique qui dissèque les cadavres, Armand Metzger m’a semblé tout à
fait approprié (rires). Le livre est d’ailleurs rempli de clins
d’œil de cette nature, issus de mes expériences.
Maison-Hantee.com :
Le Mort Aventureux semble être un "OVNI" dans votre bibliographie,
une œuvre expérimentale en marge de vos récits habituels. En tous cas,
c’est ainsi qu’il nous a été présenté par votre éditeur, lui
reconnaissant un caractère cocasse et surprenant. Comment le
positionnez-vous par rapport à vos autres écrits ? Quelle était votre
ambition ?
Claude Lecouteux :
C’est un roman ! Or, la fiction est le fruit direct de toutes mes
recherches. Toutes les références, y compris le cimetière et les
vampires, et les témoignages sont venus meubler la fiction. J’en compte
au moins 300 ! L’histoire de la grotte aux bougies, c’est du 12ème
siècle. Tout est authentique ! En outre, comme j’étais en train d’écrire
un livre sur la magie, j’y ai glissé quelques allusions : on peut
susciter les morts par nécromancie, une forme de magie. Il y a donc
énormément d’intertextualité car, selon moi, le lecteur qui a
connaissance de références peu connues, peut s’y plaire. Celui qui
connait Bonaguil pourra suivre le héros, à la trace, dans ses
déambulations…
Maison-Hantee.com : Le
chapitre sur Bonaguil est un bon exemple qui illustre le potentiel
touristique dont disposent les lieux de légende, en particulier les
châteaux hantés. Possédez-vous de bons guides de la France insolite ? Y
a-t-il des lieux mystérieux en France qui vous fascinent plus que
d’autres ? Pourquoi le fantôme est-il un meilleur locataire outre-manche
qu’au pays de Descartes ?
Claude Lecouteux :
J’ai rassemblé une petite bibliographie sur le sujet, dictionnaire des
lieux hantés en Angleterre. C’est fabuleux parce que, là-bas, tous les
fantômes sont identifiés. Comme aux Etats-Unis, d’ailleurs. Mais, en
France, c’est plus difficile, à l’exception de la Bretagne, pour
laquelle je cite la brochure de Louis le Cunff, sur les fantômes de
cette région (4). On pourrait lancer un tourisme des lieux hantés, comme
le tourisme archéologique ou mythologique. Pour vous raconter une
anecdote, j’ai reçu, il y a quelques années, suite à la publication de
mon livre Fantômes et revenants au Moyen-âge, un jeu de
photographies tirées d’une caméra de surveillance d’une maison
particulière, située près de Beauvais, où il y aurait un fantôme. Sur
ces clichés, on distingue la silhouette d’un curé du 19ème
siècle qui flotte au-dessus du sol du jardin…
Maison-Hantee.com :
Votre conclusion ?
Claude Lecouteux (dubitatif) :
Tant que je n’ai pas vu… Vous savez, pour moi, c’est une matière
d’études. Donc je ne rentre pas dans le dilemme « croire ou ne pas
croire ». Pour moi, les gens y ont cru, à l’époque que j’étudie !
Pourquoi ? Telle est la question…
Maison-Hantee.com :
"Les morts font peur, et ce n’est pas sans raison." Avez-vous peur des
fantômes ? Quels sont les récits qui vous terrifient ? Avez-vous déjà
vécu le surnaturel ?
Claude Lecouteux :
Pas du tout ! Mais je vois régulièrement quelqu’un, originaire du
Portugal, qui n’a qu’une peur dans sa vie : celle des morts ! Elle porte
en permanence une croix pour les repousser. Elle me raconte ses
terreurs. C’est un monument pour un ethnologue ! Elle vient d’un village
associé à la légende de Fatima. Quelle histoire a-t-elle pu entendre
dans son enfance qui l’a traumatisée à ce point ? On raconte toujours
des histoires de fantômes. Mettez les gens en confiance et les langues
se délient : des bruits par-ci, des apparitions par-là, la pendule qui
s’est arrêtée quand ma grand-mère est morte, etc.
Maison-Hantee.com :
Tout le monde a des histoires cachées !
Claude Lecouteux :
Pas moi ! (Rires) C’est pour cela que je les étudie. Regardez
Jung, il a étudié les fantômes, dans le cadre d’une grande enquête, où
les gens se confiaient sur des expériences personnelles. En recoupant
ces informations, vous mettez à jour des mystères que la science
actuelle n’est pas encore parvenu à élucider. Pourquoi a-t-on cru, avec
une telle constance et une telle régularité, à ces "histoires de bonnes
femmes", de l’Antiquité jusqu’à nos jours ? On a pu dresser un catalogue
complet sur les retours des morts, avec les raisons de leur retour,
leurs actions, leurs modalités, comment les délivrer de leur trépas, que
demandent-ils,… C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu clouer le bec, lors
d’une émission de télévision, à des témoins hallucinés qui avaient
rapporté leurs aventures comme authentiques alors qu’il s’agissait
d’histoires connues et déjà répertoriées !
Maison-Hantee.com : Par
Claude Seignolle par exemple !
Claude Lecouteux :
Oui, sauf que lui, c’était un collecteur (5). Il ne faisait aucune
analyse de texte. C’est le premier stade, hors interprétation. Moi, je
vais prendre les collections en question, les analyser, les mettre en
forme, chercher les "lignes de crête", les motifs récurrents et les
thèmes…
Maison-Hantee.com : …
pour en faire une cartographie…
Claude Lecouteux : Une typologie,
plutôt ! Parce que la cartographie, elle est faite : ce n’est pas la
France qui héberge le plus de fantômes au mètre carré ! (Rires)
Maison-Hantee.com :
Pourquoi un tel handicap ? Cela tient-il à nos gènes historiques ?
Claude Lecouteux :
C’est le paysage ! Le pays d’Europe qui possède le plus de fantômes et
de revenants, au point que les habitants sont étonnés de voir un
ethnologue débarquer pour les étudier, c’est l’Islande ! Après, vient la
Norvège, le Royaume-Uni, puis les autres pays. L’Islande, c’est
fabuleux ! J’y avais envoyé une équipe de journalistes qui a rencontré
un chasseur de fantômes, en tenue pour le rituel d’expulsion du fantôme.
D’autre part, j’ai un jeune collègue dont j’ai publié l’enquête sur les
spectres islandais à l’orée du 21ème siècle. A son arrivée,
les gens se demandaient comment il pouvait s’intéresser à un tel sujet ?
C’est tellement banal ! Sur les routes norvégiennes, vous trouvez même
des routes détournées avec des panneaux "Attention aux fantômes" ! Quand
Gorbatchev et Reagan se sont rencontrés à Reykjavik (6), dans une maison
présumée hantée, les islandais avaient prédit l’échec de la réunion. Et
c’est exactement ce qui s’est produit !
Maison-Hantee.com : Les
Islandais se comportent avec leurs créatures fantastiques comme les
anciens égyptiens avec leurs divinités. Les deux mondes sont
indissociables.
Claude Lecouteux :
Sauf que ce n’est pas du fantastique ! Cela fait partie de leur vie
quotidienne. Il y a plusieurs dizaines d’années, dans le nord de
l’Islande, le gouvernement avait décidé de construire une centrale
hydro-électrique. Une enquête publique a été réalisée. Et l’opinion
publique s’est opposée massivement au projet, arguant du fait qu’on
allait déranger le génie de la cascade…
Maison-Hantee.com :
Imaginez le tracé du TGV en France qui se heurte à ce genre de motif ! (Rires)
Claude Lecouteux :
Cette mentalité n’a pas évolué depuis le Moyen-âge, à partir du moment
où on touche à ces domaines-là. Quand Charcot a fait naufrage avec le
"Pourquoi pas ?" sur les côtes islandaises (7), les cadavres ont été
ramassés. On parle encore de leurs fantômes… Il y a des pays dans
lesquels vous vivez en familiarité avec les fantômes et les revenants.
Et, selon moi, il y a une énorme influence du paysage. Sauvages, noyés
dans la brume, clairsemés de pierres aux formes étranges, ce sont des
paysages de légendes. Avec son fog, l’Angleterre est le tableau
idéal ! Dans mon étude actuelle sur les esprits frappeurs, mes meilleurs
témoignages viennent d’outre-manche.
Maison-Hantee.com : Au
chapitre X, "Branle-bas", Jacques Dufour, un jeune journaliste "dents
longues, échine souple, idées reçues" de l’Est Républicain,
publie un article à sensation sur d’étranges phénomènes se produisant au
cimetière d’Armand Metzger : "Un village hanté : le cimetière d’Anfreville
voit les morts déambuler la nuit…". Or, le héros ne voit pas cette
parution naïve et racoleuse d’un très bon œil. Pensez-vous que la presse
et le surnaturel ne peuvent pas faire bon ménage ?
Claude Lecouteux :
La presse est devenue un média de faits divers et de sensation. Elle
s’empare d’un fait pour le tourner en dérision. Sur le ton de la
plaisanterie, on joue sur les mots et on fait les gorges chaudes sur les
gens qui ont vécu le fait en question. Ou, à l’extrême, on souligne la
gravité en déployant l’arsenal scientifique. Prenez l’exemple du
poltergeist de la clinique d’Arcachon (8), célèbre supercherie des
années 60, ou, plus récemment, de la petite église d’une commune où le
maire avait inventé une histoire de hantise (9). Le mécanisme est
toujours identique : on tient le sujet qui va permettre d’augmenter les
ventes. Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens s’intéressent à ces
sujets-là, sans jamais oser les aborder. La presse devient alors un
substitut, ou un exutoire, qui permet de présenter les choses, tout en
prenant des distances, de les ridiculiser au passage, et, au final, de
les accréditer ! C’est le cas de cette fausse église hantée (9) et de la
vague de pseudo-spécialistes qui se sont emparés de l’affaire !
Maison-Hantee.com :
Parlant de la mission des morts pour sauver les vivants, Metzger
explique à Louis Gaillard que "seuls les poètes et les rêveurs, seuls
ceux qui savent voir au-delà des apparences, tireront profit de notre
collaboration." A l’inverse des scientifiques et des politiciens, les
artistes sont-ils les mieux placés pour rendre compte de la
signification des mystères de notre monde ?
Claude Lecouteux :
Un grand poète allemand a dit que le "poète voit au-delà des
apparences". Pour illustrer son propos, il a créé un héros aveugle dans
un poème intitulé L’aveugle. Parce qu’il est aveugle, il "voit"…
Il devient voyant, au sens métaphorique ! De tous temps, les artistes
ont développé une sensibilité qui les amène à percevoir d’autres choses
et de les retranscrire. Deux moyens : la littérature avec de grands
romans comme le Dracula de Stoker, et l’image qui, aujourd’hui,
se substitue de plus en plus à l’écrit, notamment par l’intermédiaire de
la bande dessinée. A l’instar de Gustave Doré, les artistes ont donc un
rôle à jouer pour suggérer le fantastique, sans le montrer. Au cinéma,
le noir et blanc est beaucoup plus efficace que la couleur. Le
Nosferatu de Murnau surpasse largement tous les autres films
colorisés de vampire. Le mort s’habille très bien en noir et blanc !
Maison-Hantee.com :
C’est mal parti car le progrès technologique va desservir de plus en
plus le pouvoir du surnaturel dans les œuvres d’art.
Claude Lecouteux :
La technicité remplace la mentalité. Cela n’a donc plus d’impact ! La
première fois que j’ai vu Nosferatu, j’ai trouvé ça terrifiant !
Tout était suggéré. Le cinéma muet était un vrai tour de force pour
valoriser l’image.
Maison-Hantee.com :
Votre protagoniste se manifeste aux vivants par l’intermédiaire de Louis
Gaillard, "médium de père en fils". Avez-vous déjà participé à une
séance de spiritisme ?
Claude Lecouteux :
Jamais !
Maison-Hantee.com : Et
passé une nuit dans une maison réputée hantée ?
Claude Lecouteux :
Non. Le pire que j’ai vécu, c’est une nuit dans un cimetière !
Maison-Hantee.com :
Pour les besoins du Mort aventureux ?
Claude Lecouteux :
Non, non. Quand j’étais jeune boyscout, à 14 ans, ma patrouille était
hébergée chez un paysan et toute sa famille était enterrée dans le
jardin. Cela se faisait encore à cette époque-là. Et même si on ne
s’intéresse pas aux fantômes, ça laisse une impression bizarre…
Maison-Hantee.com :
Seriez-vous tenté d’accompagner un chasseur de fantômes sur un lieu
hanté ?
Claude Lecouteux :
Vous savez, j’ai vu pas mal de choses ! Les méthodes avec les appareils,
etc. ! Encore des Anglo-saxons d’ailleurs ! Et cela ne m’a pas
convaincu. A partir du moment où on a besoin d’équipements pour repérer
les hantises, ce ne sont plus des hantises ! La vraie hantise, pour moi,
c’est celle de mes textes ! Vous trouvez quelqu’un, assis, au coin de
feu, en rentrant chez vous le soir, et, tout à coup, il n’est plus là…
La majorité des hantises se produisent après des décès, avec des
personnes en travail de deuil. J’ai interviewé un pasteur allemand dont
les fantômes étaient son pain quotidien. Dès lors que vous croyez ou
avez une tendance à croire, vous serez le témoin de manifestations. Si
vous êtes sceptique, ça ne marchera jamais !
Maison-Hantee.com :
"J’avais pris conscience que je vivais dans un univers de plus en plus
déshumanisé et dépoétisé, un monde de clichés et de stéréotypes..."
L’homme est-il devenu si aseptisé au point de ne plus croire à
l’incroyable, ni de goûter à la magie du mystère autrement que par les
croyances religieuses ?
Claude Lecouteux :
On refuse de croire à certains mystères sous peine de passer pour un
fou ! Aujourd’hui, le problème des enquêtes paranormales est de faire
parler les gens. Ils refusent d’être catalogués comme superstitieux. En
France, nous sommes cartésiens. Moi, je suis cartésien à 150% et ma
méthode est celle de Claude Bernard, la méthode expérimentale. Donc, il
faut des preuves !
Maison-Hantee.com :
C’est néanmoins un territoire où vous n’en avez aucune !
Claude Lecouteux :
Des témoignages ! Même si ce sont des preuves subjectives… Certaines
personnes, de bonne foi, sont fermement convaincues de ces phénomènes.
Et il faut respecter leurs croyances !
Maison-Hantee.com :
Vous préparez, pour l’an prochain, un livre sur les esprits frappeurs.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Claude Lecouteux : Le premier jet
est terminé. Cela m’a pris six ans d’enquête. Tout le monde connait les
esprits frappeurs. Mais, dès que vous parlez de poltergeists, les
gens pensent au film ou à la série télévisée. Or, j’ai réalisé une
enquête auprès d’une centaine de personnes, - des étudiants, des
collègues ou des libraires -, pour leur demander ce qu’est un
poltergeist. 70% des personnes interrogées n’en savaient rien ou
donnaient une mauvaise définition ! Apparu au 16ème siècle,
popularisé par Luther, l’expression poltergeist est le terme
technique, utilisé dans les milieux parapsychologiques, pour désigner
des phénomènes de télékinésie provoqués par un adolescent, ou
préadolescent, en crise. On ne sait pas les expliquer mais on sait
comment ça fonctionne. C’est scientifiquement prouvé ! Si le mot
poltergeist a été créé vers 1548, c’est bien pour nommer un
phénomène existant. Je me suis posé la question : comment a-t-il été
perçu par des non-initiés, à travers les âges, jusqu’à son explication
scientifique ? Alors des portes se sont ouvertes sur un monde
incroyable ! Notamment avec de surprenantes histoires d’exorcismes…
Maison-Hantee.com : A
ce propos, nous préparons un dossier sur l’Eglise et le paranormal, et
la manière dont elle juge les possessions et conçoit les exorcismes…
Claude Lecouteux :
Je peux vous dire ce que m’a dit le grand exorciste du Diocèse de Paris,
il y a 25 ans : sur 100 cas, seuls deux m’ont laissé sans réponse. Les
autres cas relèvent du psychosomatique…
Maison-Hantee.com :
Professeur, merci !
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(1) Le Mort aventureux, Claude
Lecouteux, Editions Imago, 2003
(2) Elle mangeait son linceul :
fantômes, revenants et esprits frappeurs, anthologie de Claude
Lecouteux, Collection Merveilleux n°28, Editions José Corti, 2006
(3) Régis Boyer est professeur de langues,
littératures et civilisation scandinaves à l'université de
Paris-Sorbonne. Licencié de français, de philosophie et d'anglais,
agrégé de lettres, docteur ès lettres, il a enseigné en Pologne, en
Islande et en Suède. Passionné par la littérature nordique, il a publié
un nombre conséquent d'études, de traductions et de livres en rapport
avec la mythologie scandinave.
(4) Fantômes de Bretagne, Louis Le
Cunff, Editions Ouest France, 1995
(5) A ce sujet, nous vous recommandons la
lecture de Invitation au château de l’étrange, de Claude
Seignolle, préface de Jacques Bergier, Editions Maisonneuve et Larose,
1996
(6) Suite à la proposition de Mikaël
Gorbatchev de diminuer de moitié les stocks d’armes stratégiques des
Etats-Unis et de l’URSS, il rencontre Ronald Reagan à Reykjavik, en
octobre 1986. Un accord est sur le point d’être conclu mais se solde par
un échec, le président américain refusant d’abandonner sa "Guerre des
Etoiles".
(7) Le 16 septembre 1936, le navire de
recherches océanographiques d’expédition polaire, le "Pourquoi pas ?",
avec à son bord le célèbre savant français Jean-Baptiste Charcot, fait
naufrage sur les récifs d’Alftanes, en Islande, entraînant la mort de 39
personnes. On compta un seul rescapé, le maître-timonier Eugène Gonidec,
à qui l’on doit le récit de la catastrophe.
(8) En 1963, la clinique orthopédique
d’Arcachon est victime de jets de pierres et de briques dont l’origine
est inconnue. Les patients sont systématiquement pris pour cibles par
les projectiles, notamment en présence d’une adolescente de 17 ans. Un
spécialiste du paranormal, Robert Tocquet, est appelé à la rescousse
pour interroger la jeune fille. Sitôt l’entretien achevé, les phénomènes
cessent d’un coup, sans explication…
(9) En octobre 1998, la petite église de
Delain, un village de Haute-Saône, est le théâtre d’événements
inexplicables : une ampoule chute du haut de la nef, une coupelle de
bougies voltige, une statue longe les murs, un siège s’écrase contre un
pilier,… La gendarmerie bloque l’accès à l’église "hantée", le curé fait
appel à un exorciste et la presse s’empare de l’affaire. Finalement, le
maire avoue être à l’origine des phénomènes…
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Image de titre extraite de l'émission
"Traqueurs de fantômes",
disponible en téléchargement payant sur Vodeo.tv |