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Le Japon est l’une des
terres de prédilection des fantômes, des histoires de revenants et du
culte des esprits. Le cinéma asiatique est d’ailleurs reconnu pour être
l’un des plus effrayants en matière de films fantastiques.
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La religion
Shintô qui s’appuie sur la croyance dans l’existence d’une
infinité d’esprits et de dieux est embrassée par plus de 80% des
Japonais. Les prêtres Shintô doivent pratiquer de nombreux rites
pour s’attirer les bonnes grâces de ces esprits. Pour s'en protéger ou chasser les esprits mauvais, ils se livrent à des
exorcismes ou des rites de purification. C’est dans cette
atmosphère surnaturelle très chargée qu’Erick Fearson et Yuko,
notre correspondante au Japon, ont remarqué l’histoire d’Aokigahara
Jukai, une forêt maudite située sur le flanc nord-ouest du Mont
Fuji. Théâtre de nombreuses morts mystérieuses, suicides ou
disparitions, elle serait hantée par des esprits tourmentés qui
égarent les promeneurs imprudents. La réputation de cette forêt
dense et inextricable est telle que les autorités ont mis en
place des procédures pour éviter les drames ou, le cas échéant,
pour minimiser les rumeurs. Mais rien n’y fait. |
Ce lieu mystérieux
continue toujours d’attirer inexorablement les candidats à l’au-delà
vers une mort certaine. Suivez le guide hors des sentiers battus. Et
surtout, ne le perdez pas !
De notre correspondante au Japon, Yuko
T.
Avec la participation d’Erick Fearson.
Aokigahara Jukai, ou mer d'arbres, est une
forêt qui repose au pied du Mont Fuji et regorge de légendes. Situé dans
la préfecture de Yamanashi, le Mont Fuji est le plus haut volcan du
Japon (3776 m). Il est aussi réputé pour ses flancs de lacs et de
forêts. Localisée sur le versant nord-ouest de la montagne, Aokigahara
Jukai en est l’une d’elles, née d’un torrent de lave lors de l’éruption
de 864.
En dépit de sa jeune histoire (1 200 ans
d’existence) et de sa surface (3 000 hectares), cette forêt profonde est
devenue célèbre grâce (ou à cause ?) de ses légendes et des phénomènes
mystérieux qui s’y déroulent.
3 000 hectares est une surface qui,
normalement, peut être parcourue d’un bout à l’autre en marchant trois
ou quatre heures. Et pourtant, dans cette étrange forêt, la tâche est
impossible ! La légende dit que ceux qui se sont engagés dans cette mer
végétale n’en sont jamais revenu. Aujourd’hui encore, beaucoup de
randonneurs perdent leur chemin. Leurs squelettes, ou leurs corps à
moitiés dévorés par « quelque chose », sont régulièrement retrouvés dans
cette forêt profonde et obscure. Aussi, ceux qui partent à la recherche
de ses corps disparus ou pour élucider le mystère de ce lieu se perdent
à leur tour. Une vieille légende dit aussi qu’un grand nombre de
chauve-souris vivent ici. Elles attaquent les promeneurs et tentent de
les étouffer en leur couvrant le visage.
Dans cette forêt, votre boussole perd le
nord en vous indiquant le sud ou bien avec un écart de 90 degrés par
rapport au nord. D’autres affirment que si vous suivez les indications
de votre boussole, vous tournez en rond revenant ainsi à votre point de
départ. Des dysfonctionnements provenant des outils de mesure digitaux
ont aussi été remarqués.
Aokigahara est si dense que la lumière du
soleil y pénètre très difficilement. Nombreux sont ceux qui affirment
qu’il vous est impossible de vous diriger avec le soleil, car si vous
levez la tête, vous ne voyez qu’une petite parcelle du ciel. A cause de
la densité du feuillage, les GPS ne fonctionnent pas, bien que quelques
personnes aient prouvé le contraire avec un GPS de meilleure qualité.
Étant très similaire, le paysage crée,
dans votre esprit, une distorsion du sens de l’orientation. De ce fait,
les différentes directions qui s’offrent à vous se ressemblent toutes.
Si vous regardez devant vous pour marcher droit, vous risquez fortement
de glisser et de chuter : le sol paraît solide alors qu’en vérité, il se
trouve souvent à 30 ou 40 cm plus bas, sous un tapis de racines et de
feuilles, lesquelles créent une toile donnant l’illusion d’un terrain
parfaitement plat. Aussi, cette forêt possède de nombreuses cavités
énormes et profondes, formées par la nature même de sa base qui n’est
que lave. Ces crevasses ouvrent largement leurs gueules sous la mousse
et la végétation. Il est très facile de chuter à l’intérieur et de vous
retrouver avec horreur, face à des squelettes qui moisissent là depuis
fort longtemps. Aucune issue, ni aucun sauvetage n’est possible si vous
êtes seul. Notons que d’étranges cavernes se terrent dans le sol de
cette forêt. Plus étonnant, elles sont prisonnières des glaces y compris
l’été.
D’autres, prisonniers de cet "enfer vert",
ont marché pendant des jours, croisant ici et là quelques squelettes et
cadavres en décomposition, et sont morts affamés avant de servir de
repas aux animaux sauvages. Tous ces phénomènes ainsi que d’autres faits
divers ont créé toutes sortes de légendes à propos de monstres, de
gobelins et de fantômes qui hantent cette forêt.
En 1959, l’écrivain japonais Seicho
Matsumoto a écrit une nouvelle à propos de cette "magnifique forêt
abandonnée et sauvage", en affirmant qu’elle est l’endroit idéal pour
mourir en secret et sans que l’on puisse retrouver votre corps. Cette
nouvelle du nom de Kuroi Jukai (forêt noire) fut publiée dans un
magazine. La nouvelle se termine avec le suicide des amants dans cette
sombre forêt. Après la publication de cette nouvelle, l’endroit est
devenu le lieu le plus réputé pour se suicider. Régulièrement, les corps
sans vie de lecteurs suicidaires sont retrouvés là.
En 1993, un autre écrivain japonais du nom
de Wataru Tsutsumi a publié un livre éloquent : Le guide complet du
suicide. Ce livre décrit les différentes façons de se suicider ainsi
que les risques liés à chaque méthode. Dans cet ouvrage, il recommande
de se pendre par la corde. Il indique quelques endroits bien précis de
cette forêt maudite. Selon lui, ce sont les meilleurs endroits pour
éviter que l’on retrouve les corps, et ainsi conclure à une mystérieuse
disparition. Après la publication de l’ouvrage, le taux de suicide
augmenta fortement au Japon et beaucoup de ceux qui réussirent leur
ultime voyage furent précisément retrouvés dans cette forêt aux endroits
indiqués, avec à leurs pieds, l’ouvrage de Wataru Tsutsumi. Quelques-uns
s’étaient pendus en position assise alors que d’autres étaient
allongés ! Il y a quelques années, la photo d’un pendu fut publiée dans
un journal. Il n’avait plus de jambes. Celles-ci furent, semble-t-il,
dévorées par des animaux sauvages.
À cause d’un taux d’humidité élevé ainsi
qu’à sa nombreuse population d’oiseaux et d’animaux sauvages, les corps
pourrissent très rapidement au cœur de ce labyrinthe végétal. Un rapport
fait mention d’une femme retrouvée trois jours après sa mort. Son corps
dévoré par les fourmis et différents rongeurs fut totalement
méconnaissable. Beaucoup de personnes venant camper ici et faisant face
à d’effroyables scènes mettent ces terribles images sur internet, pour
informer la population de la réalité de ces faits et ainsi dissuader les
futurs candidats au suicide.
Quoi qu’il en soit, il y a aujourd’hui des
randonnées organisées dans cette sinistre forêt permettant d’apprécier
la nature sauvage. Les gens apprécient l’atmosphère mystérieuse de ce
site et la beauté de la nature. Cependant, de nombreux panneaux
signalétiques cloués sur les arbres par les autorités, portent
d’étonnant messages tel que : "S’il vous plaît, contactez la police
avant de décider de mourir. S’il vous plait, reconsidérez votre geste".
De plus, ces panneaux vous avertissent de ne jamais sortir des chemins
balisés, même sur une courte distance. Car vous pourriez chuter dans une
crevasse, ou bien vous pourriez tomber nez-à-nez avec un squelette ou un
cadavre fraîchement mort. Enfin, il vous sera extrêmement difficile de
revenir sur vos pas. De nombreuses personnes commettent l’acte fatal à
quelques mètres des chemins de randonnées. Pourquoi ? Par le fait qu’il
est difficile de pénétrer en profondeur dans cette forêt. A certains
endroits, une heure est nécessaire pour faire 300 mètres ! La végétation
est tellement dense et épaisse qu’il suffit de s’enfoncer de quelques
kilomètres pour prendre conscience qu’aucun son ne peut être entendu,
exceptés les bruits de la forêt et le chant du vent…
Des sources affirment qu’il ne se passe
rien de mystérieux dans cet enfer végétal et que les instruments de
mesure (boussole, GPS…) fonctionnent parfaitement. Mais en vérité,
beaucoup disent que ce discours des autorités n’est qu’une campagne de
désinformation ayant pour but d’éloigner les curieux et de faire baisser
le taux de suicide.
Malheureusement, le nombre de suicides en
ce lieu damné semble augmenter d’année en année. En moyenne, entre 30 et
50 cadavres sont retrouvés chaque année. Certaines années, le score est
malheureusement plus élevé. Voici quelques chiffres :
1998 : Découverte de 73 cadavres
1999 : 68
2000 : 59
2001 : 59
2002 : 78
2003 : 105
Certains de ces corps ont pour origine le
suicide alors que d’autres sont simplement des égarés. Il y a des
groupes de personnes qui nettoient régulièrement la forêt de ses
squelettes et de ses cadavres. Pour ne pas se perdre, ces groupes
spécialisés utilisent des rubans plastiques. Ces rubans sont déposés sur
les chemins qu’ils empruntent, leur permettant, à la manière du Petit
Poucet, de revenir à leur point de départ. Ces rubans sont ensuite
laissés en place. Beaucoup de personnes ont réussi à sortir de ce
labyrinthe et ont eu la vie sauve grâce à ces rubans. Si vous empruntez
la nationale N139 qui longe la funeste forêt, vous pourrez noter la
présence de nombreux rubans indiquant qu’un corps fut retrouvé là.
Aux abords de la forêt, se trouve un camp
d’entraînement militaire. Certains de ses militaires conseillent de ne
pas regarder la forêt durant les entraînements car elle semble vous
attirer inexorablement entre ses griffes.
De nombreuses histoires font aussi mention
de personnes qui furent témoins d’effroyables apparitions fantomatiques.
Sans doute les esprits des suicidés qui seraient condamnés à hanter la
sinistre forêt pour l’éternité. Aokigahara est considéré comme le site
le plus hanté du Japon. On dit de ce lieu qu’il est le purgatoire pour
les Yurei, des fantômes vengeurs qui ont été arrachés à la vie trop tôt
par une mort violente tels que le suicide ou le meurtre. Ils hurlent
leur souffrance à travers le vent. Les spiritualistes affirment que les
arbres eux-mêmes sont imprégnés d’une énergie malveillante accumulés
depuis des siècles. Cette énergie provient naturellement de tous ces
malheureux qui se sont donné la mort. Ils feront tout pour vous attirer
car ils ne veulent pas que vous repartiez de ce lieu maudit.
Malgré tout, des gardes forestiers y
travaillent. Parfois, ils tombent sur des cadavres en état de
décomposition, pendus ou partiellement dévorés par les animaux. Dans ce
cas, les hommes sont dans l’obligation de les ramener au grand refuge d'Aokigahara. Les cadavres sont entreposés dans une pièce spéciale
réservée à cet usage. Dans cette petite pièce, il y a deux lits : un lit
pour le cadavre et un autre pour le garde forestier. Cela peut vous
surprendre, mais il est dit que si le cadavre est laissé seul dans la
pièce, l’effroyable Yurei qui l’habite criera toute la nuit et se
déplacera dans les dortoirs du centre par l’intermédiaire du corps sans
vie. Pour désigner quel garde forestier veillera sur le corps et dormira
dans la pièce mortuaire, un tirage au sort est effectué.
En 2004, le réalisateur japonais Takimoto
Tomoyuki réalise Ki No Umi (Mer d’arbres), dont la forêt maudite
est justement le sujet (titre anglais : Jyukai, The Sea of Trees
Behind Mont Fuji). L’histoire raconte le destin de quatre personnes
qui décident de se suicider à Aokigahara. Durant les repérages du film,
Takimoto raconta aux journalistes qu’il trouva un portefeuille contenant
370 000 yen (environ 2 300 euros) laissant ainsi supposer qu'Aokigahara
est un terrain propice pour la chasse aux trésors. D’autres ont affirmé
avoir trouvé des cartes de crédit et des permis de conduire.
Pourquoi les candidats au suicide sont-ils
plus nombreux dans cette forêt chaque jour ? Pourquoi attire-t-elle
autant de curieux ? Que ce passe-t-il réellement au cœur de ce
labyrinthe végétal ? Quel est le mystère qui repose au cœur de cet océan
de verdure ? Enfin, pourquoi Aokigahara fascine-t-elle toujours autant ?
Personne n’en est encore revenu pour le
dire…
Y.T. et E.F.
© Photographie : Yuko T. |