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Dominique Besançon, archéologue des
traditions populaires
Entre Tréguier et
Perros-Guirrec, dans les Côtes d’Armor, Dominique Besançon vit au rythme
d’une Bretagne empreinte de légendes et de mystères. Elle ne sait pas
expliquer l’origine de sa passion pour les créatures fantastiques. Mais
elle se souvient très bien qu’à l’âge de 6 ans, elle a pleuré à chaudes
larmes après la visite d’un château de la Loire. La croyant apeurée, sa
mère lui demanda les raisons de son chagrin. Dominique répondit : « j’ai
pas vu les fantômes ! ». La réalité des phénomènes surnaturels lui
paraît bien improbable mais ce qui lui importe, c’est « que les gens
y croient et pourquoi ».
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De mère
roscovite, Dominique Besançon a posé le premier pas sur le
territoire des ombres, en partant du Trégor, dans les années
1980, pour les besoins de sa thèse sur le grand conteur Anatole
Le Braz : "Les personnes qui auraient pu me parler de Le Braz
(mort en 1926) n'étaient malheureusement plus de ce monde ou
n'étaient plus en état de réunir leurs souvenirs de façon
cohérente. En revanche, quand j'ai découvert ce coin, ça a été
un véritable coup de foudre ! Je n'ai, depuis, eu de cesse de
vivre ici et j'y suis parvenue, non sans difficultés". Son
doctorat en poche, elle entre chez Terre de Brume en 1994 pour
diriger la publication des œuvres de Le Braz puis la collection
des anthologies de contes. Comment raconte-t-on la mort en
France et à l’étranger ? Archéologue des traditions populaires,
Dominique Besançon déniche des textes rares qui témoignent de la
façon dont les civilisations perçoivent l’au-delà depuis
des
siècles. |
Son dernier recueil sur
les vampires (1) vient de paraître. Auteur de Morts, fantômes et
revenants (2), livre de contes surnaturels qui ont hanté nos nuits,
elle s’est confiée à Maison-Hantee.com dans un entretien qui sent
l’iode, la brume et l’encens.
Propos recueillis
par Olivier Valentin
Maison-Hantee.com :
Passionnée des traditions populaires, contes et légendes de notre
patrimoine de l’imaginaire, vous êtes spécialiste d’Anatole Le Braz et
l’auteur d’une série d’anthologies thématiques chez Terre de Brume
consacrées aux créatures du bestiaire fantastique : fantômes, génies,
chimères, fées et, plus récemment, vampires, ces nouvelles célébrités du
21ème siècle, selon vous. Depuis votre Bretagne natale,
terrain de chasse de l’Ankou, avez-vous réussi, à travers vos
recherches, lectures et travaux d’écriture, à percer le secret de la
mort ?
Dominique
Besançon : Dire que j’ai percé le secret de la mort serait
très prétentieux ! Ce que j’ai tenté de percer, c’est la façon dont les
Bretons, et plus généralement les autres peuples, perçoivent la mort ou
l’idée qu’ils se font de la mort. Je me mets en retrait en n’observant
que les croyances des autres.
Maison-Hantee.com :
Qu’est ce qui vous a amené à écrire sur ces sujets et, par conséquent, à
devenir anthologiste ?
Dominique
Besançon : Je ne sais pas l’expliquer. Depuis mon enfance, je
suis passionnée par les histoires de morts et j’adore qu’on m’en
raconte. Ma mère me le répète souvent. Pourquoi ? Sans doute parce que
je suis bretonne. Or, les Bretons ont toujours entretenu une grande
proximité avec la mort. Chez moi, j’ai toujours entendu parler de la
mort, avec familiarité. Quelqu’un meurt, on en parle. A 18 ans, j’ai vu
une grande cousine, mourante, sur son lit, répéter « que je voudrais
mourir, que je voudrais mourir ! ». Et sa fille de lui répondre : « mais
ne vous impatientez pas, ma mère. Elle va venir… ». A Versailles où
je suis née, repère d’une colonie de Bretons, puisque sur la ligne de
Montparnasse, j’allais aider, dès l’âge de 11 ans, une grande tante qui
vendait des choux-fleurs et des artichauts au marché et j’entendais
parler le breton. J’ai donc baigné très tôt dans cette culture de la
tradition populaire qui pose des questions existentielles à travers ses
contes de fées : qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je, pourquoi ce
monde est-il si mystérieux, pourquoi je meurs… ? Et tous les peuples se
rejoignent à ce propos.
Maison-Hantee.com :
Alors pourquoi la mort est-elle devenue un sujet tabou pour nos sociétés
contemporaines ?
Dominique
Besançon : Parce qu’il n’est pas envisageable pour l’homme de
penser à sa mort. Nous sommes dans une civilisation de l’individualité,
de la réussite, du chacun pour soi et de la responsabilité pour chacun
de conduire sa vie. Et nous refusons de mettre des barrières, comme la
mort, à notre besoin de tout contrôler. Pourtant, prendre en compte
cette échéance, qui pousse à considérer la vie autrement, sans virer à
l’obsession, pourrait être une forme de sagesse : regarder la vérité en
face. On voit très bien les conséquences de cette politique de
l’autruche, notamment à l’égard des enfants. Refuser d’en parler ne fait
qu’alimenter les angoisses.
Maison-Hantee.com : A
diaboliser ainsi la mort, n’aurait-on pas enterré légendes et histoires
de fantômes ?
Dominique
Besançon : C’est le cas dans notre quotidien mais pas dans la
littérature ! Ce qui veut dire qu’on en a toujours besoin.
Maison-Hantee.com : Au
début de la préface de Morts, fantômes et revenants, vous citez
Jean-Paul Sartre qui disait : « La mort, c’est un attrape-nigaud pour
les familles ; pour le défunt, tout continue. » Et pour les
anthologistes et leurs éditeurs ? Une aubaine commerciale ?
Dominique
Besançon : (Rires) Nos livres ne se vendent pas à des
milliers et des milliers d’exemplaires ! C’est une manière de préserver
ce qui n’aurait jamais dû disparaître.
Maison-Hantee.com : A
l’instar de George Langelaan, auteur de Treize fantômes,
partez-vous enquêter sur les lieux de légende ? Sinon, comment naissent
vos ouvrages ?
Dominique
Besançon : En tant qu’anthologiste, mes histoires sont déjà
puisées dans l’écrit. De 1980 à 1985, j’ai effectué une collecte de
terrain, notamment en Bretagne, pour étayer ma thèse sur la Légende
de la mort d’Anatole le Braz, recueil de traditions mortuaires
datant de la fin du XIXème siècle. Je suis partie à la rencontre des
anciens, bloc-notes et magnétophone en main, pour les faire parler de la
mort, des intersignes, de l’Ankou, des revenants qu’ils auraient pu
rencontrer et de l’idée qu’ils se faisaient de la mort. Ce qui n’était
pas chose facile car on touche au religieux, au sacré. Et il y a une
grande crainte du sacrilège. Les gens ont très peur qu’on se moque de
leurs croyances. Alors, il faut savoir les approcher, en commençant
soi-même à raconter une histoire, à l’instar d’Anatole le Braz. Les
langues se sont alors déliées et j’ai recueilli des histoires,
considérées comme authentiques par leurs conteurs : l’Ankou croisé à un
carrefour, le père décédé qui revient aider sa fille à la ferme, etc.
Puis, j’ai soutenu ma thèse en 1985 à Jussieu, en littérature générale
et comparée. Chez Terre de Brume, j’ai commencé par diriger la
publication des ouvrages de Le Braz, puisqu’il n’a pas écrit que la
Légende.
Maison-Hantee.com :
Dans l’introduction de votre recueil sur les revenants, vous évoquez la
quadruple fonction du conte : didactique, ludique, artistique et
sociale. Quel est la valeur d’une histoire de fantôme ?
Dominique
Besançon : De se retrouver dans sa culture ! Les histoires de
fantômes se racontent partout dans le monde, mais de nombreuses manières
selon les régions et les cultures. En Bretagne, c’est se retrouver face
à ses préoccupations religieuses ou sacrées, mais dans un contexte
breton. C’est le rôle social du conte : on se rassemble en petit comité
pour évoquer nos défunts. Nous sommes tous solidaires du fantôme, ce
« nous » projeté dans le futur !
Maison-Hantee.com : « Réussir
sa mort, c’est déjà s’y préparer » afin d’éviter remords et missions
inachevées qui conduiraient à revenir, après son décès, hanter les
vivants. Quelle distinction y a-t-il entre un mort, un fantôme et un
revenant ?
Dominique
Besançon : Le mort est le terme générique pour celui qui a
subi le trépas. C’est-à-dire, celui qui doit passer d’un monde à
l’autre. Le revenant, quant à lui, est une créature païenne, corporelle,
qui a traversé les siècles dans un remarquable syncrétisme religieux. Il
est aussi présent parmi nous que les fantômes dits éthérés. En Bretagne,
les fantômes appartiennent à la famille des âmes en peine, l’Anaon,
peuple sans corps qui peut néanmoins faire du bruit ou parler.
Maison-Hantee.com :
D’après certaines légendes, notamment scandinaves, des revenants,
pouvant être dangereux, nécessitent un traitement post-mortem
particulier. Le fantôme n’a-t-il pas, au contraire, une mission
prophétique et bienfaitrice ?
Dominique
Besançon : Il y a des morts bénéfiques qui permettent aux
vivants de se préparer à leur trépas et éviter d’engendrer de mauvais
morts insatisfaits, au sens médiéval, susceptibles de revenir
bouleverser la vie des vivants. Dans les cimetières de nombreuses
civilisations, on trouve des histoires de squelettes qui imposent une
mort immédiate, violente.
Entre la fin du XIXème siècle et
aujourd’hui, les mentalités ont changé vis-à-vis des fantômes. Avant,
ils faisaient peur même si on acceptait sa mort plus facilement que
maintenant. De nos jours, les fantômes cohabitent avec les vivants. Ils
sont là pour aider, guider. Ce sont des auxiliaires, qui s’expriment à
travers les intersignes.
Chez nous, l’Ankou est considéré comme la
mort personnifiée, ou l’ouvrier de Dieu. Il est chargé de faucher
l’individu au moment fixé par Dieu ou le destin, chacun ayant un temps
déterminé de vie sur terre. Or, l’Ankou est représenté par un squelette,
muni d’une faux, voyageant sur une charrette aux roues grinçantes,
attelée de chevaux noirs. Son funèbre cortège est annonciateur de mort.
L’individu qui le croise se prépare à mourir. Il fait donc venir le
prêtre et se met en règle avec sa conscience, ses voisins,... L’Ankou ne
prenant donc pas les âmes par surprise, on dit qu’il a une action très
bénéfique.
Maison-Hantee.com :
Chez les Bretons, le destin serait donc déjà écrit ?
Dominique
Besançon : Pas seulement chez les Bretons ! C’est courant
dans la plupart des civilisations traditionnelles où perdure cette idée
que le destin est tracé à l’avance. Une rupture du destin, par suicide
ou par meurtre, a toutes les chances d’engendrer le courroux divin et
d’empêcher le trépas. Ce qui explique les retours de certains morts pour
accomplir une tâche injustement interrompue.
Maison-Hantee.com : Vos
anthologies fantastiques nous font voyager. Quel pays ou région du monde
a particulièrement marqué votre intérêt et votre sensibilité ?
Dominique
Besançon : La Bretagne, évidemment ! (Rires) Terre
fantastique par excellence ! Moi qui y vis, je m’en rends compte chaque
jour davantage. Sinon, j’aime beaucoup les traditions islandaises,
danoises et, plus éloignées, chinoises. Parce que chez les Chinois, les
créatures fantastiques sont toujours ambivalentes : le dragon qui fait
peur est aussi un esprit régulateur de la nature, chargé de mettre
l’homme en garde contre sa propre frénésie destructrice.
Maison-Hantee.com : La
France est-elle le mauvais élève des histoires de fantômes et de lieux
hantés ?
Dominique
Besançon : Assurément. Par son histoire, et notamment son
besoin de centralisation, depuis la Révolution puis avec Napoléon, la
France a toujours voulu aplanir les cultures et les exceptions
régionales. En outre, l’esprit cartésien des Français se méfie de la
dérision. Il y a certainement beaucoup plus de croyances qu’on ne le
pense mais on ne le dit pas, par peur du ridicule. Contrairement à
d’autres cultures où ces sujets sont tellement assumés qu’on en parle
couramment.
Maison-Hantee.com :
Quels sont les auteurs qui vous terrifient ? Une histoire de fantôme
vous a-t-elle déjà empêché de dormir ?
Dominique
Besançon : Des revenants qui me terrifient, je n’en connais
pas, tellement nous sommes amis depuis si longtemps (rires) !
Chez les auteurs, j’adore Claude Seignolle, qui a parfaitement saisi
cette relation de l’homme à la mort. J’aime aussi Lovecraft. Ce qui
m’intéresse dans ces histoires de revenants, c’est l’identité : les
fantômes sont des doubles, anciens vivants qui ont perdu une partie de
qualité terrestre, gagnant ainsi une seconde nature. En revanche, ces
histoires ne m’ont jamais empêché de dormir !
Maison-Hantee.com :
Avez-vous déjà poussé la porte d’une maison hantée ? Vécu une expérience
surnaturelle ?
Dominique
Besançon : Jamais ! La seule expérience inhabituelle que j’ai
déjà vécue est celle du « déjà-vu ». Entrer dans un lieu qu’on a
l’impression de connaître alors que je n’y suis jamais allée. Autrement,
je n’ai jamais croisé de fantôme. Peut-être faut-il y croire pour les
voir ? En revanche, on m’a souvent rapporté des histoires vraies,
troublantes, de la part d’individus sains de corps et d’esprit.
Maison-Hantee.com : A
l’instar de Nicole Edelman ou de Claude Lecouteux que nous avons déjà
interrogés, les auteurs qui se consacrent au surnaturel sont toujours
ceux qui n’ont jamais d’anecdote personnelle à raconter. Etrange, non ?
Dominique
Besançon : Non, cela me paraît normal. Car si nous avions
vécu ces expériences au préalable, peut-être n’oserions-nous pas nous
lancer dans une étude aussi détachée de tous ces phénomènes. Nous en
aurions peur ! Tous ces morts, comme les vampires, ne se manifestent que
si on les y invite. Se promener, la nuit, sur les routes, à l’heure des
morts, est déjà une invitation à rencontrer des fantômes. Nous, auteurs,
les invitons en permanence en essayant de les comprendre et de
déterminer leur rôle social. Rien de plus ! Sinon, nous les aurions déjà
rejoints ! (Rires)
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(1) Vampires, goules et autres zombis,
Dominique Besançon et Sylvie Ferdinand, Collection Contes du monde
entier, Editions Terre de Brume, mars 2006
(2) Morts, fantômes et revenants,
Dominique Besançon, Collection Contes du monde entier, Editions Terre de
Brume, mars 2000 |