|
Qui se souvient
de l’émission Mystères se rappelle certainement du reportage sur le Château de Veauce (1) ! Surplombant les plaines de l’Allier,
en Auvergne, cette forteresse du 9ème siècle est devenue
célèbre, dans les années 1980, grâce à son propriétaire d’alors, Ephraïm
Tagori de la Tour, qui prétendait être visité chaque nuit par un fantôme
prénommé Lucie.
|
Intrigués par
cette rumeur, les médias se sont emparés de l’affaire, à
commencer par France Inter. Dans la nuit du 4 août 1984,
l'équipe du journaliste Jean-Yves Casgha, spécialiste des
reportages sur l’étrange, assistés d’un médium et de sa
petite-fille, auraient été témoins de l’apparition de la dame
blanche dans les hauteurs du château. Ils auraient même gardé
des traces tangibles de leur rencontre avec Lucie : "Dans
cette tour fut, pour la première fois au monde, photographié et
enregistré un fantôme" (2).
Décriées par des zététiciens (3), ces "preuves" ont alors
contribué à médiatiser le château et son excentrique
propriétaire. Invité des plateaux de télévision, il s’est amusé
à raconter son histoire, multipliant les anecdotes, avec
émotion, jusqu’à sa mort.
Que reste-t-il de cette expérience ? |
La légende du fantôme
est-elle toujours d’actualité au château de Veauce ? Maison-Hantee.com
est remonté aux sources de l’affaire avant de se rendre sur place auprès
de la nouvelle propriétaire. Une visite hors du commun !
Textes et photos par Olivier Valentin
Mardi 30 mai 2006. Nous avons rendez-vous
à 15h avec le guide du château. C’est jour de fermeture au public (4).
Bloqués devant les grilles cadenassées de l’entrée des visiteurs, nous
passons un coup de fil pour avertir de notre présence. Aucune réponse.
Je tombe systématiquement sur le répondeur. Y aurait-il eu un quiproquo
sur la date du rendez-vous ? Alors que je cherche à pénétrer dans
l’enceinte du parc par un autre chemin, une habitante de Veauce
m’interpelle et m’indique une entrée conduisant directement à la cour
d’honneur du château.
Une fois à l’intérieur,
toujours aucun signe de vie
Je commence à
m’inquiéter, frappe aux portes et aux fenêtres, sonne la cloche
et appelle, en vain, les habitants du château de Veauce. Une
voiture, portière ouverte, est garée devant la porte d’entrée.
Deux paons montent la garde. Séduit par le charme de cette
vieille demeure, je constate que l’âme des pierres n’a pas pris
une ride, même si l’une des tours s’est écroulée et que
plusieurs bâtiments, en mauvais état, ont l’air condamnés. Alors
que nous allions rebrousser chemin, bredouilles de toute
histoire de fantôme, une femme se manifeste à une fenêtre. Elle
est anglaise. S’excusant de s’être assoupie, Elisabeth Mincer,
nouvelle propriétaire du château de Veauce, nous rejoint. Son
adjoint Kevin, l’esprit encore embrumé, lui emboite le pas.
Fatigués par l’organisation d’une semaine d’événements
artistiques (5) qui s’est achevée la veille, tard dans la nuit,
ils avaient complètement oublié notre visite… |
|
Après les présentations d’usage, Kevin
Costello, victime collatérale d’un "excès de table", nous remet un
document et nous invite à déambuler à notre guise dans les couloirs du
château. Il ne semble pas en état de pérorer sur douze siècles
d’histoire. Nous voilà donc livrés à nous-mêmes et aux caprices des
mystères de Veauce…
Douze siècles nous
contemplent…
Construit vraisemblablement en 808 par Charlemagne
(6) pour son fils, Louis Le Débonnaire, le vaste château,
aujourd’hui classé Monument Historique, fut complété au fil des
siècles par de nombreux éléments architecturaux jusqu’à devenir
baronnie en 1400, comme l’atteste des armoiries surmontant une
grille de style gothique flamboyant. L’édifice
est flanqué de cinq tours : la tour carrée, la plus ancienne, le donjon
avec sa tour de guet, la tour crénelée où se situaient les prisons, la
tour de l’horloge dont le mécanisme – encore en activité ! – date de
1795 et la tour hexagonale. |
|
A l’origine propriété d’un sire de Veauce,
qui possédait le droit de justice sur les terres avoisinantes, la
seigneurie de Veauce fut érigée en baronnie, au début du 15ème
siècle, par le Roi Louis II de Bourbon en faveur du chevalier Robert
Dauphin, seigneur de Royne et de Veauce.
|
Après la mort de Charles de
Bourbon, Connétable de France, le château de Veauce releva
directement de la Couronne. Dès lors, plusieurs familles
illustres s'y sont succédées. En très mauvais état au milieu du
19ème
siècle, Charles Eugène de Cadier, Baron de Veauce, a conduit,
entre 1841 et 1846, les importants travaux de rénovation qui lui
donnèrent son aspect actuel. En 1973, le Baron Eugène de Cadier
céda le château à Monsieur Ephraïm Tagori de la Tour, premier
porte-parole de la hantise. |
Lucie
Dans les couloirs silencieux du château,
on peut admirer plusieurs représentations du fantôme de Lucie, la Dame
Blanche de Veauce. Dans la galerie des peintres, au 1er
étage, la grande toile de Marcel Hasquin, titrée "Les
mystères du château de Veauce", immortalise la légende de Lucie dans un
mouvement tourbillonnant. A l'entrée de la galerie des vitraux, une
peinture sur soie de Daniel de Chaumant met en scène le fantôme
s'évadant de sa prison.
Enfin, je reste pensif devant cet autre
tableau de Marcel Hasquin, accroché au bout du couloir, avant le
petit escalier qui mène aux parties les plus anciennes de la
forteresse. On peut y voir une femme ligotée qui, aidée d'une
chouette, se libère de ses liens. J'imagine qu'il s'agit à
nouveau de Lucie en compagnie de ce mystérieux oiseau de nuit,
symbole de sagesse et guide vers... l'au-delà ! On raconte
qu'une chouette aurait passé sa vie à tourner autour de la tour
de l'horloge avant d'y être retrouvée morte. Sa
mystérieuse activité aurait-elle trouvé un lien avec Lucie, sous
la plume du peintre ?
D’après les
témoignages de M. Tagori de la Tour, le fantôme de Lucie
hanterait le chemin de ronde et la salle des pendus depuis le 16ème
siècle. |
|
Vers 1560, la belle et jeune domestique au château, Lucie, fut
courtisée par le Baron de l’époque, Guy de Daillon, bien que
marié. Alors qu’il était parti guerroyer, la Baronne, jalouse,
en profita pour jeter Lucie dans la prison de la tour dite "mal
coiffée", où elle
mourut de faim, de froid et de peur. Depuis, elle revient
certaines nuits honorer la mémoire de son funeste sort.
Depuis 2002,
date à laquelle elle a acquis le château, Elisabeth Mincer n’a
jamais croisé le fantôme de Lucie. Mais elle avoue que certains
hôtes qui ont séjourné à Veauce l’ont l’aperçu pendant la nuit,
dans leur chambre. Témoignage digne de foi ou bluff
marketing ? En tous cas, l’affaire du fantôme de Veauce n’a pas manqué
d’intéresser le zététicien Erick Maillot, il y a une dizaine d’années.
La nuit des tous les
mystères
Sceptique confirmé, Erick Maillot s’est
évertué à décrédibiliser les "preuves" des journalistes de France Inter,
en montrant qu’il était possible de les attribuer à des phénomènes bien
réels. Est-il parvenu à tuer la légende ? Revenons sur les circonstances
de l’enquête.
|
Août 1984, Jean-Yves Casgha,
journaliste qui "a du mal à croire aux fantômes",
organise une veillée nocturne pour obtenir des traces de
l’existence du fantôme. Avec l’accord de M. Tagori de la Tour,
il fait installer des micros dans le chemin de ronde et dans la
salle des pendus, où doit, selon les dires du propriétaire, se
manifester Lucie. En compagnie de ses collaborateurs, du
parapsychologue Raymond Réant (7) et de sa petite-fille Aurore,
Jean-Yves Casgha attend le mystérieux phénomène. A minuit,
Aurore aperçoit une lueur fantomatique près d’une fenêtre. Alors
qu’elle se précise, la fillette tente d’entrer en communication
avec la silhouette lumineuse. Le médium prend des photos. La
lueur sort de la salle et emprunte le chemin de ronde. C’est
alors que le technicien radio, en régie dans une autre salle,
perçoit un bruit strident qui le pousse à enlever son casque et
rejoindre précipitamment le groupe. |
Casgha est convaincu que le sifflement
enregistré a été provoqué par le passage de Lucie. En outre, l’une des
photos du médium a révélé une forme lumineuse, ovoïde et floue. Une
authentique manifestation spectrale a-t-elle été photographiée et
enregistrée cette nuit-là ? Le zététicien en doute.
D’après lui, l’anomalie sonore pourrait
s’expliquer par la condensation, fréquente les nuits d’été, dans les
vieux châteaux, et suffisante pour "provoquer la fuite du courant à
fort voltage d’un condensateur de microphone". Il regrette aussi que
le matériel photographique utilisé, notamment la pellicule du médium,
n’ait pas été analysé pour garantir l’authenticité de la "photo de
Lucie".
|
Erick Maillot se lance alors dans une
démarche zététique, souvent controversée, qui consiste à singer des
phénomènes mystérieux par des reconstitutions scientifiques pour prouver
que l’inexplicable peut toujours s’expliquer. Les zététiciens pensent en
effet que si un phénomène paranormal peut être reproduit
artificiellement, il cesse automatiquement d’être paranormal. Curieuse
méthode car même si on peut imiter à la perfection les signes d'un
mystère, cela n'empêche pas qu'il puisse avoir une cause inconnue ! Il
recrée alors les caractéristiques d’une photo de fantôme et attribue
celle du médium à un effet de la Lune. Selon lui, tout est affaire de
lumière jusqu’au nom lui-même du fantôme, Lucie (du latin lux,
lumière) ! |
La mort du fantôme ?
Dans une émission de Tina Kieffer
consacrée aux fantômes, Paul-Eric Blanrue, un autre zététicien, s’est
amusé à abuser de la crédulité de M. Tagori de la Tour avec des photos
truquées. Auteur d’un réquisitoire contre le fantôme, il a visé à
démonter l’opération commerciale derrière la légende, ne trouvant aucune
donnée sur la présence de Lucie à Veauce au 16ème siècle.
Même les
habitants du village n’auraient jamais entendu parler de cette
hantise avant l’arrivée de M. Tagori de la Tour, un "faux
baron", d’après P.-E. Blanrue.
En toute
logique, le vieux briscard refusa d’ouvrir son château au Cercle
Zététique. Il est mort à la fin des années 1990, laissant à sa
famille le soin d’éconduire une dernière fois les zététiciens. Avaient-ils
cassé le rêve d’immortalité d’un vieillard qui, luttant contre
la solitude et l’insomnie, s’était attaché tendrement à son
revenant ? Qui du
châtelain ou de France Inter a mis le feu aux poudres en
premier ? Cobaye, malgré elle, de la méthode expérimentale, Lucie n’aurait
jamais dû passer à la télévision ! La trop forte
médiatisation de cette légende, qu'elle soit authentique ou
inventée, aura donc fait deux victimes : Lucie et son vieux
châtelain au cœur d'artichaut ! |
|
Dans la brochure actuelle, on peut lire
"Château de Veauce : forteresse hantée, demeure d’histoire".
Dernier hommage, mythe ancré dans l'inconscient collectif ou filon qui
continue ?
Ce n’est ni aux zététiciens, ni à
Maison-Hantee.com d’en décider…
O.V.
*****************************************************************
(1) Nous
avons retrouvé
ce reportage sur Google Video !
(2) Le
Figaro Magazine, 13 octobre 1984
(3) La
zététique est une démarche philosophique, s’inspirant du scepticisme,
qui a recours à la "méthode scientifique" pour essayer d’appréhender
efficacement le réel. Issu de cette discipline, le Cercle Zététique,
fondé par Paul-Eric Blanrue, est une association loi de 1901 qui
rassemble chercheurs, universitaires et illusionnistes, pour démasquer
les mystificateurs. Les zététiciens se sont souvent illustrés dans le
cadre de controverses médiatiques musclées visant à décrypter, avec plus
ou moins de pertinence, les phénomènes paranormaux.
(4) Ouvert
tous les jours, sauf le mardi, de 10h30 à 12h et de 14h30 à 18h30 (prix
d’entrée de 4 à 6 Euros)
(5) Possibilités
de location de salons pour des réceptions, expositions, conférences,
réunions ou mariages. 4 chambres d’hôtes disponibles sur réservation au
04 70 58 53 27 ou 06 16 05 85 61 (anglais et français).
Plus d’infos sur le web.
(6) Selon
d'autres sources, le château apparaît dans l'histoire au début du XIème
siècle, avec Arnauld de Veauce. Il s'agissait d'un habitat défensif,
érigé sur un pic rocheux et destiné à surveiller des frontières
géographiques très discutées dans la région.
(cf.
http://mairie-veauce.planet-allier.com)
(7) Sur
son enquête à Veauce, lire La parapsychologie et l’invisible, par
Raymond Réant, Editions du Rocher, 1986 (ouvrage disponible uniquement
en occasion) |