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Dans son livre consacré
aux maisons et châteaux hantés de France*, le célèbre
photographe de l’étrange, Simon Marsden, a sélectionné le
Domaine Royal de Randan, une demeure princière du 19ème siècle,
aux frontières de l’Allier et du Puy-de-Dôme, en Auvergne.
Intrigué par ce choix, Maison-Hantee.com s’est rendu sur place
pour enquêter sur l’histoire de ce site remarquable, ravagé par
un terrible incendie en juillet 1925. Au-delà des vestiges
romantiques du château, nous avons décrypté les événements pour
tenter d’identifier à Randan tout hôte défiant les lois de
l’imagination. Archéologues du surnaturel, nous avons revêtu nos
habits de promeneurs solitaires en quête de mystères. Sensibles
au destin mouvementé de ces ruines, nous sommes parvenus à
entrer en contact avec l’âme du lieu. Une visite au-delà du
temps où chaque pierre a un secret à révéler. Encore faut-il
savoir tendre l'oreille… |
Par Olivier Valentin
Dans un article du journal La Montagne,
daté du 28 juillet 1925, on pouvait lire : « Et maintenant que le
château de Randan n'est plus qu'un amas informe de ruines où achèvent de
se consumer lentement toutes les merveilles qui y furent entassées,
vestiges des temps passés et histoire de tout un peuple un problème
délicat se pose: qu'adviendra-t-il de cette historique demeure ? Que vont
en faire les propriétaires actuels que rien ne retient en ce lieu, qui
n'y ont aucune attache familiale, aucun souvenir ? Entreprendront-ils la
reconstruction de cette merveille, de ce joyau de l'art français ? C'est
douteux et presque impossible. Laisseront-ils le château dans l'état
actuel ? C'est assez improbable. Et alors, à quel usage sera destinée
cette antique demeure ? »
Une chaude nuit d’été
Que s’est-il passé à Randan en 1925 ?
Dans la nuit du 24 au 25 juillet, entre
1h00 et 5h30, le feu prend dans le salon chinois de cette magnifique
propriété du Puy-de-Dôme, située entre Clermont-Ferrand et Vichy.
Voyant des flammes sortir par la fenêtre, un
serviteur donne l’alerte. La duchesse de Montpensier, qui vit rarement
au château depuis le décès de son mari, est réveillée par les cris, en
langue maternelle, de sa vieille nourrice espagnole. Le personnel
s’active pour circonscrire l’incendie. A 5h30, le tocsin retentit dans
le village. Les habitants accourent. Sous le commandement du lieutenant
Seguin, les pompiers de Randan sont déjà l’œuvre. Mais, faute de
pression dans les pompes, l’eau vient à manquer. Malgré des efforts
désespérés pour acheminer, le long d’une chaine humaine, l’eau du bassin
au château, à l’aide de seaux, les flammes gagnent en intensité et le
sinistre se propage rapidement aux étages. |
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Pendant ce temps, le maire de Randan et le
notaire de la famille de Montpensier tardent à revenir de Vichy avec des
renforts. Les pompiers de Clermont-Ferrand et de la maison Michelin,
sollicités par téléphone, arrivent trop tard.
Le feu n’est pas contenu avant 10h00. A
cette heure, les dernières flammes faiblissent sous le jet des lances à
incendie. Le château n’est plus qu’un amas noirci de poutrelles
métalliques et de pans de murs calcinés. Les étages ont disparu. Le
calme est revenu. Le mobilier et les collections d’art, qui ont réchappé
tant bien que mal au brasier, reposent sur la pelouse, au soleil. On ne
déplore aucun blessé.
A 14h00, des flammes reprennent et donnent
le coup de grâce aux derniers planchers qui tiennent encore debout. Des
pompiers sont touchés, certains gravement.
La duchesse quitte le château pour Vichy.
Afin d’éloigner les curieux et les imprudents, les grilles sont
cadenassées et le château placé sous haute surveillance. Le destin de
Randan est scellé par une enquête sans conclusion. Des hypothèses,
alimentées par les rumeurs locales, sont écartées. Mais le mystère de
l’incendie de Randan ne sera jamais élucidé.
Ô temps, suspends ton
vol
Aujourd’hui, sous les pâles rayons du
soleil, se dessine la silhouette d’une ruine dont l’esthétisme ne manque
pas d’inspirer les plus incroyables histoires de fantômes. Sauf qu’il
n’y a aucun revenant connu à Randan ! Alors pourquoi cet article ? Les
fantasmes de l’imagination seraient-ils les seuls prétextes à la
visite ? Pourquoi pas ! Seul l’équipage du Nautile, premier submersible
à avoir approché l’épave du Titanic, peut comprendre ce que l’on ressent
à la contemplation des ruines de Randan. Le temps a suspendu son vol.
Les mots du poème de Lamartine prennent ici, plus qu’ailleurs, tout leur
sens : « L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il
coule, et nous passons ! »
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Ce qui force l'admiration à Randan, c’est la manière
dont les hommes luttent contre cette inexorable course du temps.
Propriétaire du domaine depuis février 2003, le Conseil Régional
d’Auvergne, a entrepris un vaste programme de restauration pour redonner
à cette ancienne demeure royale toute la valeur patrimoniale qu’elle
mérite, à commencer par les jardins et le parc, la toiture de
l’Orangerie, les communs et les vitraux de la chapelle. Suivront les
cuisines, édifiées sur un seul niveau et couvertes d’un toit-terrasse,
autrefois jardiné, qui relie le château à la chapelle. Seul le château,
vestiges d’une construction du 19ème siècle à partir d’un édifice
médiéval, est laissé aux caprices des ronces, des oiseaux et de la
rouille. Détail insolite quand on embrasse les ruines au premier coup
d’œil : les conduits de cheminée pointent encore vers le ciel, malgré
l’incendie de 1925 et la tempête de 1999… |
L’énigme du tableau
d’Alphonse Osbert
Ni le conservateur actuel, originaire de
Randan, ni l’ancien gardien ne me rapportent d’histoires de fantômes sur
Randan. Pourtant, certaines anecdotes nourrissent l’imagination. Une
toile du peintre Alphonse Osbert, exposée au château avant l’incendie et
conservée de nos jours en lieux sûrs, représente une figure féminine,
entourée dans un halo surnaturel, et tenant le château entre ses mains.
Commandée à la fin du 19ème siècle par la Comtesse de Paris, le tableau
s’intitule "La muse de Randan pleurant le départ de la princesse". On
connaît le goût de l’artiste pour ses personnages mythologiques et ses
messages symboliques. Mais, faut-il y voir l’évocation d’un drame,
souvent à l’origine d’une hantise ? Réflexe de chasseur de fantômes :
sonder l’histoire…
L’origine du château de Randan remonte à
l’époque médiévale. Il aurait été construit à l’emplacement d’un ancien
monastère du 6ème siècle. Le premier château, une seigneurie des
Polignac qui a résisté à un tremblement de terre en 1490, a été
fortement modifié au 17ème siècle, sous l’impulsion de la marquise de
Senecey, Marie-Catherine de la Rochefoucauld. En 1821, le futur roi
Louis-Philippe, qui l’avait acheté au Duc de Choiseul, le cède à sa sœur
Adélaïde d’Orléans. Sous son occupation, le domaine subit ses plus
profonds changements, avec l’intervention du célèbre architecte
Pierre-François-Léonard Fontaine qui, après la galerie d’Orléans au
Palais Royal, la réunion du Louvre et des Tuileries, les jardins du
Palais de l’Elysée et le parc Monceau à Paris, transforme l’édifice
principal en une romantique bâtisse de briques polychromes. Un parc
paysager est créé. |
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Pour l’anecdote, Louis-Philippe n’aurait
jamais séjourné à Randan en tant que roi, lui préférant sans doute son
château d’Eu, en Seine-Maritime.
En 1848, la chute de la Monarchie de
Juillet, marquant la fin de la royauté, bouleverse à nouveau le destin
de Randan qui, telle la Belle au Bois Dormant, plonge dans un profond
sommeil pendant un demi-siècle. Le "prince charmant" vient sous les traits
de Marie-Isabelle d’Orléans, Comtesse de Paris, petite-fille de
Louis-Philippe, qui permet au château d’entrer, la tête haute, dans le
20ème siècle. C’est elle qui commande à Alphonse Osbert, en 1899, le
tableau de la muse "pleurant le départ de la princesse". De qui
parle-t-on ? Il est fort probable qu’il s’agisse de la Princesse
Adélaïde d’Orléans, décédée en 1847, à Paris, loin de sa propriété
d’Auvergne qu’elle aimait tant. Mais pourquoi une muse, personnage
récurrent chez ce peintre symboliste ? Une inspiration mythologique ? Ou
l’évocation d’un mystère ?
Pendant la première guerre mondiale, le
château est transformé en hôpital. Randan aurait donc côtoyé la
souffrance, la tristesse et la mort. Un soldat se serait-il attaché au
domaine, au-delà de la mort ? Rien ne le confirme…
Un coupable idéal
Le 20 août 1921, le Prince Ferdinand
d’Orléans, duc de Montpensier, épouse, à Randan, une grande d’Espagne,
Maria Isabel Gonzalez de Olaneta y Ibarreta, Marquise de Valdeterrazo.
Lorsque le duc s’éteint au château le 30 janvier 1924, court la rumeur
locale selon laquelle sa veuve n’aime pas le domaine. En outre, le
remplacement un peu brusque des vieux serviteurs par des domestiques
espagnols n’aurait pas contribué à améliorer la réputation de la
duchesse.
Le jeudi 23 juillet 1924, la duchesse
entame un bref séjour à Randan, en compagnie de sa suite et d’une de ses
cousines. Le lendemain, par une matinée de forte chaleur, les deux
femmes visitent le cabinet chinois, situé dans l’aile droite du château.
Elles laissent les fenêtres ouvertes, en quittant la pièce. Après le
dîner, elles veillent tard dans l’un des salons du rez-de-chaussée,
jouant aux cartes, puis montent se coucher vers 1h00. L’alerte au feu
sera donnée quelques heures plus tard.
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L’énigme est digne d’un roman d’Agatha
Christie. S’agit-il d’un acte de malveillance, attribué à un domestique
congédié ? La duchesse a rapporté aux enquêteurs qu’elle avait entendu
des bruits de pas, une première fois, vers 22h00, dans la cour
d’honneur, puis une seconde fois avant de se mettre au lit.
Une
escroquerie à l’assurance ? Improbable : celle-ci était caduque depuis
le décès du duc, faute de paiement des primes.
Un court-circuit ?
Impossible car, même si le château était équipé d’un générateur
d’électricité en cours de rénovation, les batteries étaient hors service
depuis plusieurs années, faute d’entretien. L’éclairage était donc
assuré par des lampes à pétrole, sans doute à l’origine du sinistre.
C’est la meilleure explication : il s’agirait d’un accident ! |
Mais pour les Randannais, tout accable la
duchesse. Qu’elle ait commandité l’incendie (jamais prouvé) ou contribué
au risque d’incendie en ne prenant pas soin du domaine, elle faisait un
coupable idéal pour les gens de l’époque. Les journaux l’interpellent
alors : « Allons Mme la Duchesse de Montpensier, jetez un regard en
arrière et dictez vos actes futurs en pensant au passé. Mme la Comtesse
de Paris, dont tous les Randannais ont gardé le souvenir, n’avait-elle
pas stipulé dans son testament, en laissant cette propriété princière à
son fils, le duc de Montpensier, que ce château ne sorte pas de la
famille d’Orléans ? Alors, Mme la duchesse de Montpensier, ne
croyez-vous pas qu’il serait juste de respecter les volontés de cette
morte ? »
Les dernières volontés
d’une morte
En 1999, les Duarte, une branche
aristocratique proche de la famille royale ibérique, décident de
"s’écarter" des volontés testamentaires de la Comtesse de Paris en
mettant le domaine, et toutes ses collections, en vente aux enchères, le
23 et 24 mai, pour un montant total estimé de 12 millions de francs
(environ 1,8 millions d’euros). Soucieux de préserver le patrimoine
national, le Ministère de la Culture compromet la dispersion sauvage des œuvres
d’art en achetant le tout, à l’issue d’un bras de fer musclé. La
taxidermie du duc de Montpensier, grand amateur de chasse, et la
vaisselle est mise à l’abri. On compte aussi du mobilier et des tableaux
de valeur, que le Conseil Régional souhaite vivement valoriser auprès du
public, dans le cadre d'un futur musée.
Sous la bienveillance d’un gardien,
Maison-Hantee.com a eu tout le loisir de déambuler dans les allées et
les couloirs du domaine, alors que les grilles étaient fermées au
public. Qui a mis le feu à Randan ? Un coup de malchance ou un esprit
facétieux, décidé à venger le peu de considération donné à un lieu
emblématique de l’histoire de France ? Quand on voit aujourd’hui toutes
les bonnes volontés qui s’y affairent, on se dit que l’instigateur,
vivant ou imaginaire, de la tragédie aura contribué, volontairement ou
accidentellement, à renverser le cours du temps, offrant une nouvelle
destinée aux ruines mystérieuses du château de Randan. |
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O.V.
(*) Chasseur de fantômes : Voyage à
travers la France hantée, Simon Marsden, Editions Flammarion,
septembre 2006. Après renseignement auprès de l’intéressé, Simon Marsden
aurait vécu une expérience étrange lors de sa visite à Randan…
>>
www.simonmarsden.co.uk
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Remerciements : Le conservateur et
les gardiens du Domaine Royal de Randan, Gilles Pichon du site
Randan, en
feu et Damien Caillard
Contact : Association des Amis du
Domaine Royal de Randan - Place Adélaïde d’Orléans, 63310 Randan – Tél :
04 70 41 57 86 - Site ouvert à la visite, libre ou guidée, tous les
jours sauf le mardi, du 1er mai au 5 novembre 2006 - Prix d'entrée : 3
Euros.
Copyrights photos : Damien Caillard et
Olivier Valentin |