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Hasard du calendrier ou
rendez-vous avec l'insolite ? Au mois d'octobre, les ouvrages de
superstitions populaires qui flirtent avec le surnaturel sont légion.
Mais, immunisés contre la frénésie d'Halloween (plutôt refroidie ces
derniers temps en Europe, vous ne trouvez pas ?) et son cortège de
"livres de commande", nous avons apprécié la parution discrète du
dernier et excellent carnet de voyage d'un aventurier du mystère, Claude
Arz.
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Familier des hauts
lieux de légendes, il nous entraîne au cœur des mythologies et des secrets historiques de nos régions avec La France
mystérieuse, beau livre illustré paru dans la Sélection du
Reader's Digest. Cinq ans après avoir dirigé chez le même
éditeur une équipe de spécialistes de la France de l'imaginaire,
il revient en compagnie d'un photographe inspiré pour conter les
plus incroyables énigmes de notre patrimoine. Une fois de plus,
il nous prouve que les Français ne sont pas les sceptiques
arrogants qu'ils prétendent être en public. Car en aparté, ils
partagent le goût du mystère et du paranormal, des ruines
hantées, des pierres sacrées, des forêts enchantées, des
sociétés secrètes et des trésors cachés. Selon Claude Arz,
happés par les turpitudes matérielles de la vie quotidienne, ils
n'ont juste pas le temps de s'y intéresser. Heureusement qu'il
reste encore des faiseurs de rêves pour les conduire sur les
chemins de l'étrange. |
Entretien avec un vrai
curieux, enquêteur du merveilleux, hôte des univers de l'invisible,
organisateur de dîners occultes... Tout un programme !
Propos recueillis par Olivier Valentin
Après le Guide de la
France insolite et la France insolite chez Hachette, et A
la découverte de la France mystérieuse que vous avez dirigé pour la
Sélection du Reader’s Digest, vous persistez et signez Hauts lieux,
croyances et légendes de la France mystérieuse, toujours au Reader’s
Digest, à une période de l’année où les fantômes rodent dans l’actualité
littéraire.
Qu’est ce qui vous séduit autant dans les légendes de la France
secrète ?
Claude Arz : Ce sont des petites
histoires qui, mises bout à bout, forment la grande histoire cachée de
la France. Ce sont des trésors enfouis dans les mémoires françaises, des
trésors qu’il faut regarder avec respect car ils condensent les
croyances françaises, souvent oubliées, quelquefois moquées, toujours
fortes et symboliques. Or, ces croyances dans les forces invisibles
puisent dans la mémoire collective, qu’on le veuille ou non. Quand par
exemple, des centaines d’anonymes viennent suspendre des linges aux
branches d’arbres au fond des bois pour guérir un proche en demandant la
protection d’un esprit subtil, que ces gens y viennent discrètement tôt
le matin juste avant d’aller au travail, ils ne le disent à personne, ne
s’en vantent jamais. Ils pratiquent un ancien culte des forêts sans le
savoir. Ce culte, on le trouve aussi bien dans le Nord de la France, en
Bretagne qu’en Bourgogne.
Surinformés, modernes et
rompus aux démonstrations scientifiques, on dit que les français sont
devenus des sceptiques imperméables aux mystères de nos régions ? Mais
vous êtes convaincu du contraire. Pourquoi ? Les médias ne sont-ils pas
responsables de ce quiproquo ?
Claude Arz
: Notre formation
intellectuelle est basée avec justesse sur le doute. Ce qui a pour
fonction de faire de nous des esprits critiques. Mais ce doute est
quelquefois associé à une ironie suspicieuse à propos de tout ce qui
touche les domaines de l’imaginaire qui sont devenus progressivement
suspects depuis une vingtaine d’années. Seul le cinéma fantastique
échappe à ce rejet et tant mieux. On veut bien croire aux fantômes, aux
démons, aux mages, aux astrologues mais au cinéma ! Pas dans la réalité.
Pourtant, il y a quelques 50 000 guérisseurs, voyantes urbaines,
envoûteurs, désenvoûteurs, rebouteux de campagnes et marabouts qui sont
consultés tous les jours par des milliers de Français. Ces mêmes
Français ne sont pas forcément sceptiques à l’égard de ces univers mais
tracassés par quantité d’autres choses de la vie quotidienne, leur
pouvoir d’achat, leur famille, leurs amours, leur travail,... Mais, dès
qu’ils ont le temps, dès qu’ils redeviennent sereins, tous ces domaines
les attirent. De plus, la démarche n’est pas facile à communiquer car il
s’agit de faire appel à des pratiques magiques condamnées et rejetées
par la pensée positiviste. Peu de gens osent dire : ah vous savez, je
reviens de chez ma voyante et elle m’a dit que j’allais trouver du
travail, ou bien, je reviens de chez un sorcier pour envoûter mon
mari... En résumé, on pourrait dire que les pratiques populaires sont
rejetées par les faiseurs d’opinions car trop dangereuses, trop
expressives…
Adolescent, vous avez été
témoin d’un phénomène surnaturel, tombant ainsi dans la marmite de
"l’inquiétante étrangeté" selon l'expression chère à Freud.
Racontez-nous ? En quoi cet événement inhabituel a-t-il orienté votre
quête de chasseur d’insolite ?
Claude Arz
: C’est pire que vous
pouvez l’imaginer ! Mon père était (est toujours) magnétiseur. J’ai vécu
dans un univers magique où j’ai côtoyé la souffrance et la féerie.
Progressivement, j’ai commencé à comprendre qu’il y avait un monde
marginalisé, celui des univers invisibles, celui des cris et
chuchotements de personnes persécutées par des démons, leurs démons
intérieurs peut-être mais persécutées quant même. J’ai appris à écouter
la parole de tous ceux qui se sentaient pris, envoûtés, persécutés…
Rassurez-vous, j’ai fait des études, assez longues d’ailleurs, et j’ai
acquis ainsi une part de culture savante. Ce qui est important c’est de
faire attention au monde qui nous entoure, d’être vigilant aux signes
qui jalonnent notre vie.
Vous avez tout fait :
"nuit spirite dans un vieux château normand, invocation aux anciens
dieux dans les forêts du Cher, repas ufologiques dans le restaurant d’un
supermarché, rencontres gothiques, expériences télépathiques, séances de
tarot, salutation au soleil au sommet de Montségur en compagnie des
enfants des cathares…". Aujourd’hui, vous organisez des dîners occultes
en compagnie de passionnés du paranormal. Pourquoi une telle
accumulation d’expériences fortes ? Pour retrouver le grand frisson de
votre enfance ? Pour percer les secrets de l’au-delà ?
Claude Arz
: C’est tout
simplement de la curiosité et le désir de franchir des frontières
interdites par la raison, sans tabou, sans a priori, ni complexe.
Retrouver les frissons de mon enfance, bien sûr, rejouer toujours et
encore les gammes des châteaux hantés au clair de lune comme dans les
romans gothiques. Revivre l’ambiance des baraques foraines, comme un
éternel retour. Je rencontre tous les jours des gens qui vivent dans le
surnaturel et qui aiment se confier. Quant à l’au-delà, ce sera l’ultime
frontière.
Dans votre dernier livre,
vous plongez, à la manière d’un Alain Decaux, au cœur des grands
classiques de notre patrimoine des légendes (la bête du Gévaudan,
Brocéliande, Carnac, l’alchimie, le trésor des templiers, les catacombes
de Paris,…). Tout cela n’a-t-il pas déjà été largement discuté ?
Claude Arz
: Vous vous demandez
si tout cela n’a pas déjà été vu, raconté mille fois ? Sans doute pour
les spécialistes souvent blasés mais n’oubliez pas trois choses :
d’abord tous ces sites font partie du patrimoine français. Ensuite, il y
a de nouvelles générations, toujours plus curieuses, toujours plus
gourmandes de mystère et d’étrangeté pour lesquelles toutes ces énigmes
sont encore des pôles d’enchantement voire de frisson. Enfin, tous les
dix ou vingt ans, de nouvelles interprétations surgissent, renouvelant
les explications des énigmes paranormales. Prenez par exemple l’affaire
de Glozel, les menhirs de Carnac qui furent sans doute un observatoire
astronomique primitif, l’étonnante histoire de Rennes-le-Château et même
la vallée aux Merveilles : ce sont toutes des histoires qui font rêver
et qui montrent qu’il y a encore des lieux irréductibles qui dégagent du
bizarre.
Ce
sont aussi des aventures humaines. Qui peut vraiment expliquer les
visages grimaçants de la caverne sculptée de Dénézé-sous-Doué, le dieu
tutélaire de la grotte du jugement dernier à Brantôme, les pétroglyphes
de la vallée aux Merveilles ou les structures du mur païen du Mont
Saint Odile ? De plus, tous ces hauts lieux de l’étrange font toujours
aujourd’hui l’objet de recherches acharnées. Ils sont souvent gardés et
animés par d’étonnants personnages. Je pense par exemple à Jean Richard,
un mordu de la bête du Gévaudan, qui cherche depuis 40 ans à percer
cette étrange affaire et qui collectionne toutes les nouvelles
interprétations. Je pense aussi à Marie-Thérèse Legras, une spécialiste
en ésotérisme, qui m’a guidé un matin de septembre dans le Bourges
alchimique, au gardien du château de Gisors qui m’a murmuré un soir
d’octobre "qu’il devait y avoir quelque chose en dessous", à Pierre, un
ami alchimiste, qui a tout sacrifié au "Grand Œuvre" pendant 20 ans, à
Régis Blanchet, un initié qui m’a éclairé sur les mystères des statues
de la caverne de Dénezé-sous-Doué,...
Avez-vous visité tous les
sites sur lesquels vous avez enquêté pour votre livre ?
Claude Arz
: Oui et, pour
certains, deux ou trois fois. A parcourir, cela doit
représenter quelques milliers de kilomètres de salles de châteaux
alchimiques, de landes obscures, de simples musées noirs, de grottes,
d'églises habitées,... J’ai commencé par établir un programme précis,
une sorte de plan de bataille, établissant des cartes géographiques avec
des routes détaillées, fouinant les bibliothèques, lisant des dizaines
de textes traitant d’énigmes historiques et occultes. Sur le terrain,
j’ai commencé par Bourges, le centre de la France et j’ai ensuite suivi
un itinéraire en forme de spirale. J’ai ainsi rencontré des dizaines de
passionnés du mystère qui m’ont fait découvrir des lieux toujours plus
imprévisibles. Cela allait du simple amateur de curiosités paranormales
à des historiens confirmés, des parapsychologues, des ufologues et de
vrais initiés !
Quel grand mystère de la
France occulte touche le plus votre imagination ?
Claude Arz
: Certainement, la
caverne sculptée de Dénezé-sous-Doué qui condense toutes les pratiques
magico-telluriques. Quand on descend dans cette cave où vous
contemplent ces centaines de visages grimaçants, on plonge dans une
histoire de culte secret...
Votre livre est
remarquablement illustré par les belles photographies de Franck Fouquet
qui a sillonné plus de 30 000 kilomètres pour les réaliser. Comment
s’est passée votre collaboration ? Ses photos vous ont-elles inspiré
dans votre sélection d’histoires ou lui avez-vous passé commande ?
Claude Arz
: J’ai donné le
conducteur à Franck Fouquet et il a sillonné la France dans des
conditions souvent difficiles, pluies et neige comprises, au cours de
l’hiver 2006. Il lui est même arrivé des aventures curieuses…
Dans votre article sur les
croyances et le paranormal, vous citez Sylvie Jumel, ancien magistrat à
la Cour des comptes et auteur en 2002 de La sorcellerie au cœur de la
République : "Nos princes, sans distinction de parti ni de religion ou
presque, font souvent appel aux sorciers du XXIème siècle pour conquérir
ou garder leur pouvoir, pour forcer leur destin, pour rester les maîtres
du monde qui est aussi le nôtre." Pensez-vous que la voyance et autres
croyances superstitieuses peuvent influencer le cours de notre vie ?
Claude Arz
: Manifestement, il y
a beaucoup de gens qui vivent influencés par la pensée magique, certains
diront archaïque. Quand on va voir une voyante, on est déjà sous
influence. Maintenant, il s’agit de savoir si le contenu de la voyance a
un effet réel, si les voyants peuvent vraiment prévoir l’avenir. Les
sociologues diraient qu’il a là la manifestation de la fameuse prophétie
auto-réalisatrice. On entend ce que qu’on veut bien entendre, on est
déjà prédéterminé par son environnement familial, social et culturel. Le
voyant détecterait cela parce qu’il serait plus attentif que la plupart
des gens à des événements subtils, infimes. Ce qui est sûr, c’est qu’il
y a des cas de voyance extraordinaires attestés. Je pense qu’ils sont
rares, aléatoires et difficilement reproductibles en laboratoire.
Quant aux autres pratiques que vous appelez superstitieuses, elles
déterminent beaucoup plus de gens qu’on imagine : le culte des fontaines
sacrées, le culte des arbres à loques, même le culte des saints sont
très populaires en France et en Europe. Ce sont d’anciens cultes
magico-religieux qui ne sont pas du tout médiatisés et tant mieux…
Laissons tranquilles les anciens dieux !
Croyez-vous aux fantômes ?
Si oui, selon vous, pourquoi reviennent-ils nous hanter ?
Claude Arz
: Ah, la question
qui tue ! Ce sont nos morts qui reviennent nous hanter. À la fin du XIXè
siècle, la mort des enfants était devenue insupportable, notamment pour
les riches familles bourgeoises qui réussissaient dans tous les domaines
industriels et commerciaux, mais qui restaient impuissants face à la
mort. Le spiritisme est né à ce moment-là comme une réponse à cette
angoisse collective, à un moment où la religion commençait à perdre son
crédit. On a donc fait tourner les tables pour contacter les morts, ses
chers disparus. On a créé un univers d’ectoplasmes et de revenants.
Dans le film La chambre verte, François Truffaut fait dire à l’un
de ses héros : les morts ne meurent jamais vraiment, ce sont nous les
vivants qui les faisons vivre. À méditer...
Hormis ceux que vous
évoquez dans votre livre, connaissez-vous des lieux hantés qui vous
donnent la chair de poule ?
Claude Arz
: Oui. Cela fait
partie de la France mystérieuse noire, très noire, le versant obscur de
la France mystérieuse… Ces lieux doivent rester encore secrets. En
outre, il ne s’agit pas de faire peur ni d’avoir peur mais d’écouter la
voix des ancêtres, la voix des morts qui hantent nos mémoires.
Connaissez-vous le travail
de Simon Marsden, photographe et auteur de La France hantée : Voyage
d’un chasseur de fantômes chez Flammarion ? Que vous inspire-t-il ?
Claude Arz
: Je le découvre et
je trouve sa démarche très subtile. Les photos de châteaux sont
somptueuses, diablement frissonnantes, suggestives.
Y a-t-il un auteur, un
livre ou un film qui vous empêche de dormir ?
Claude Arz
: Il y a surtout des
films ou des livres qui m’enchantent, qui excitent mon imaginaire. Un
auteur : Kafka bien sûr et pour toujours. Un film : The Lord of
the Ring. Un livre : Fictions de Borges.
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Hauts lieux, croyances et légendes de la
France mystérieuse
Texte de Claude Arz - photographies de Franck Fouquet
Sélection du Reader's Digest - Octobre 2006 |