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Le remake du célèbre film d’horreur "Amityville, la maison du
diable" est sorti en France le 22 juin 2005. Pour fêter
l’événement, la MGM a réédité en DVD Edition Collector la
version originale de Stuart Rosenberg sortie en juillet 1979
avec James Brolin, Margot Kidder et Rod Steiger. Toujours
intriguée par cette histoire vraie de maison hantée, l’équipe de
Maison-Hantee.com a voulu dépoussiérer le mythe pour faire le
point sur l’affaire, le DVD et le remake. 26 ans après, il est
étonnant de constater que la formule fait encore recette même si
la controverse médiatique, organisée autour du massacre des
DeFeo et de la prétendue hantise vécue par les Lutz, a
définitivement compromis la crédulité de l’histoire. Tragédie et
canular cohabitent souvent dans les histoires de maisons
hantées. Démonstration. |
Par
Olivier Valentin
Dans notre dossier exclusif consacré au
mythe des maisons hantées (1), nous avions étudié le cas Amityville, une
petite ville du Nord-Est de New York, pour aboutir à la conclusion que
les maisons hantées « existent même sans revenant ». En effet, par
l’imaginaire et l’inconscient collectif, nous hantons nos maisons par
nos propres peurs, sans aucune intervention surnaturelle. Comment
distinguer alors la réalité du fantasme pour éviter l’écueil dont a été
victime Amityville et qui, trop souvent, discrédite le travail des
chasseurs de fantômes ?
A l’origine de toute réputation de maison
hantée, il y a une tragédie qui dépasse notre entendement. Une part de
mystère psychologique qui nous force à combler les vides par des
spéculations romanesques. A la question « Pourquoi ce massacre? »,
l’affaire d’Amityville n’y a jamais correctement répondu. Une fois
encore, revenons sur les faits.
Le massacre des DeFeo
Dans la nuit du 13 novembre 1974, dans une
maison de style colonial située au 112 Ocean Avenue, un jeune homme de
23 ans, Ronald DeFeo Jr., assassine au fusil ses parents et ses quatre
frères et sœurs dans leur sommeil. Jugé en automne 1975, ce criminel
reconnaît, pour sa défense, avoir été guidé par des voix surnaturelles
entendues dans la maison. Mais les experts en psychiatrie le jugent
mentalement sain et il répond de ses crimes par 6 inculpations de 25 ans
d’emprisonnement chacune, soit la perpétuité ! En 1999, il aurait
demandé sa libération conditionnelle mais elle lui a été refusée.
A la demande de l’avocat de la défense,
William Weber, une enquête a lieu dans la maison afin d’y trouver une
quelconque puissance capable d’avoir influencé le meurtrier. Sans doute
renseigné par des spécialistes en parapsychologie, il soupçonne
l’existence de champs électromagnétiques dus à des vices de forme ou à
des forces telluriques avoisinantes susceptibles de saturer
l’environnement en ondes nuisibles à l’équilibre des cellules et à la
santé mentale de son client. Cette thèse du champ parapsychologique est
avancée par un certain Hans Holzer pour justifier pourquoi aucun des
membres de la famille DeFeo n’a été alerté par les coups de feu. Il
inhibe les sons et affecte la perception du bruit. Mais de là à entendre
des voix d’outre-tombe…
L’affaire est classée par les
scientifiques qui refusent d’y voir autre chose qu’une folie meurtrière.
Mais la maison étant « tâchée de sang », elle reste inoccupée pendant
plusieurs mois malgré son prix attractif : « Quartier résidentiel d’Amityville.
Villa style colonial hollandais, 6 chambres à coucher, 1 grand salon, 1
grande salle à manger, une véranda fermée, 3 ½ salles de bains, sous-sol
fini, garage 2 voitures, piscine chauffée, et grand hangar à bateaux.
Prix demandé : 80.000 dollars ».
La hantise des Lutz
Le 18 décembre 1975, un couple tout juste
marié se porte acquéreur de la maison. L’agent immobilier ne cache pas
le terrible passé de la demeure mais la famille y est insensible. George
Lutz, 28 ans, ex-marine et homme d’affaires en charge d’une société
d’arpentage, s’y installe avec son épouse Kathleen, déjà mère de trois
enfants. Très croyants (2), ils demandent à un prêtre, le Père Ralph Pecoraro, de venir bénir la maison. Mais il est frappé de malaises et
perçoit une voix désincarnée qui l’ordonne de partir. Cet étrange
incident, d’abord assimilé à une hallucination, est le premier d’une
série d’événements inexplicables.
Rapportés par les Lutz eux-mêmes dans une
interview qu’ils ont accordée à la télévision History Channel dans le
cadre de deux reportages consacrés à la légende d’Amityville (3), les
phénomènes envahissent peu à peu leur quotidien.
Ils constatent d’énormes variations de
température, la présence de l’odeur écœurante d’un vieux parfum, la
formation de tâches noires sur les sanitaires et l’apparition de nuées
de mouches malgré la saison hivernale.
George Lutz est tiré de son sommeil chaque
nuit vers 3h15. Cauchemar ou réminiscence du massacre des DeFeo qui eut
lieu à cette heure ?
Enfin, Mélissa, la cadette, évoque à
plusieurs reprises de la présence d’une « amie » du nom de Jodie qui se
manifeste à elle en lui assurant qu’elle « resterait toujours dans la
maison ». Imagination infantile ou expression du démon ?
Le temps fort de ces manifestations reste
la découverte dans la cave d’un réduit qui ne figure sur aucun plan.
Même le labrador noir Harry refuse d’approcher cette pièce
malodorante aux murs peints en rouge…
Sans céder trop facilement à la panique,
les Lutz tentent de se raisonner mais la vie dans cette maison devient
vite impossible. Ils ne dorment plus les nuits et sont sans cesse sur
leurs gardes, à l’affût d’une agression sous quelque forme que ce soit.
Une amie des Lutz, Francine, douée d’un pouvoir de clairvoyance, détecte
la présence d’esprits de personnes âgées ayant habité cette maison. Elle
découvre également que la maison est bâtie sur un ancien cimetière. Un
début d’explication ?
Epuisés dans leur lutte contre des forces
invisibles, ils capitulent. La nuit du 14 janvier 1976 dont le souvenir
leur fait encore horreur, ils prennent la fuite. A l’exception d’un
coffre en cèdre contenant des photos des enfants bébés, ils abandonnent
tous leurs biens et perdent beaucoup d’argent. Contrairement à d’autres…
La controverse
parapsychologique
Dès lors, l’affaire éclate et attire
l’attention des journalistes et des parapsychologues dont les
motivations, souvent floues, vont trouver un retentissement médiatique
sans précédent.
Les démarches entreprises par l’avocat
William Weber pour trouver des preuves de hantise sèment le trouble. Ne
cherche-t-il pas à authentifier les mésaventures des Lutz au bénéfice de
son client, Ronald DeFeo Jr., qu’il reconnait avoir été sous influence
lors du meurtre ? Dans ce cas, pourquoi nie-t-il encore
aujourd’hui avoir contacté le parapsychologue Hans Holzer en 1977 pour
enquêter dans la maison d’Amityville ? Ce dernier défendait la thèse de
la possession par une force malfaisante.
D’après ses investigations, le terrain sur
lequel est bâtie la maison fut autrefois un site de détention utilisé
par les indiens Montauketts, premiers colons de la région, pour parquer
leurs malades mentaux, la maladie mentale étant attribuée à l’action du
démon. Plus tard, un sorcier de Salem du nom de John Ketcham, chassé du
Massachussetts au 17ème siècle, vint y trouver refuge pour
rendre un culte au Diable. Or, un corps a été exhumé au début du 20ème
siècle à l’emplacement de la propriété. Le cadavre de John Ketcham ou
celui d’un chef indien ? Quel qu’il soit, la force qui se manifeste à
Amityville lui serait attribuée !
Chose étrange : outre Ronald DeFeo Jr.
qu’elle aurait poussé au crime, cette force n’a eu plus aucun effet
après les Lutz. Pourquoi ? D’après eux, comme ils pratiquaient la
méditation transcendantale à leur arrivée à Amityville, ils auraient été
une cible plus sensible car leur âme aurait été ouverte à l’expression
de cette force.
Surnaturelle ou non, cette force a donc
fait l’objet d’une étude minutieuse par de nombreux spécialistes de la
parapsychologie.
Tout d’abord, le Dr Stephen Kaplan,
fondateur de l’Institut Américain de Parapsychologie de Long Island,
lance ses investigations au 112 Ocean Avenue. Mais elles sont
interrompues par les Lutz qui ne trouvent pas sérieux le titre de
vampirologue sur sa carte de visite. Vraisemblablement vexé, Kaplan
consacrera vingt années de travail pour dénoncer une habile
mystification orchestrée par les Lutz à des fins commerciales. Ironie du
sort, il décède
d’un arrêt cardiaque quelques semaines avant la publication de « The Amityville Horror Conspiracy ».
Après le renvoi de Kaplan, une jeune
stagiaire de la télévision locale, Laura DiDio, gagne la confiance des
Lutz et leur présente les époux Warren le 24 février 1976. Ces
démonologues de renom détectent une présence peu ordinaire dans la
maison, différente des histoires habituelles de fantômes. Dans la cave,
à proximité de la fameuse « pièce rouge », Ed Warren se sent oppressé,
comme écrasé par des trombes d’eau ou piqué par des décharges
électrostatiques.
Le 6 mars 1976, les Warren organisent une
nouvelle séance d’étude avec des médiums. Des reporters de la chaine
newyorkaise Channel 5 filment leurs expériences. Plusieurs malaises se
produisent mais laissent les journalistes dubitatifs. Avis partagés :
rien de scientifique n’est réellement prouvé ! Ce qui pousse Ed Warren à
déclarer dans une interview (3) : « Pour le convaincu, aucune preuve
n’est nécessaire. Pour l’athée et le sceptique, aucune preuve n’est
possible ». Echec de la « commission Warren ». On retient pourtant de
leur intervention une question pertinente : Comment peut-on vivre dans
une maison qui a connu le meurtre, la malédiction et le harcèlement
moral ? Il s’est forcément passé quelque chose…
Ondes de choc
En 1977, les Lutz, sous contrat
commercial, se confient au journaliste Jay Anson qui tire un livre de
leur récit. « The Amityville Horror » devient rapidement un best-seller
attirant des centaines de fans à Amityville. Ce qui n’est pas du goût
des nouveaux propriétaires, Jim et Barbara Cromarty qui intentent un
procès contre Anson et les Lutz pour violation de vie privée. Ils
obtiennent gain de cause et touchent un dédommagement. Ce qui est
bien peu de choses par rapport à ce qui les attend…
En effet, deux ans après, une adaptation
cinématographique du livre de Anson sort en salles le 27 juillet 1979.
Réalisé par Stuart Rosenberg, le film devient rapidement un blockbuster
au point que les Cromarty sont condamnés à quitter leur maison envahie
par des hordes de curieux qui n’hésitent même plus à sonner chez eux
dans l’espoir d’être le témoin d’un phénomène paranormal. Pourtant,
Barbara Cromarty n’a cessé de clamer à la presse que la maison était
charmante !
D’après le making-of du film (4),
les acteurs n’ont pas beaucoup cru au récit des Lutz. Selon James Brolin
qui interprète George Lutz, les enfants avaient des réponses toutes
faites aux questions qu’on leur posait, comme s’ils les avaient apprises
par cœur. En outre, comment distinguer le vrai du faux dans le récit
d’un homme qui fut un excellent commercial ? Quant à Margot Kidder (Kathy Lutz), elle
avoue que les auteurs entretenaient le doute sur la véracité de
l’affaire pour servir leur promotion. Seul Rod Steiger semble s’être
beaucoup investi dans son rôle de prêtre et accordait foi dans la
hantise d’Amityville pour servir au mieux les intérêts de son
personnage. Un signe de conscience professionnelle ?
Pour promouvoir le livre et le film, les
experts en marketing n’ont pas manqué d’imagination comme en témoignent
les spots radio diffusés à l’époque pour annoncer la sortie du film (4).
Le tabloïd Star a même réussi à faire passer aux Lutz le test du
détecteur de mensonges… avec succès ! Le Père Pecoraro qui avait tenté
de bénir la maison a réaffirmé sous serment avoir entendu une voix lui
intimant l’ordre de partir ! Une allégation qui suffit amplement à
alimenter les fantasmes.
Plus dramatiques, d’étranges événements
ont entouré l’écriture du livre de Jay Anson. Plusieurs personnes en
contact avec le manuscrit auraient été victimes d’accidents de voiture
ou d’incendies parfois mortels. Même le décès brutal de l’auteur, mort
d’une crise cardiaque à 59 ans après la parution de son second livre
« 666 » (le chiffre de la bête !), a eu sa part de mystère…
L’histoire d’Amityville est devenue une
histoire de gros sous ! Les Lutz ont touché 250 000 $ pour les droits du
livre et 160 000 $ pour ceux du film. William Weber, l’avocat de DeFeo,
a réclamé 2 millions de dollars aux Lutz pour vol d’idées, lors de la
sortie du film. Le livre de Jay Anson a fait l’objet de 13 éditions et
10 millions d’exemplaires vendus. La presse a multiplié les ventes de
ses magazines consacrés à l’affaire. Les producteurs se sont frotté les
mains face aux 80 millions de dollars récoltés par le film. Les revenus
générés par cette histoire de maison hantée font encore tourner la tête.
Or, 26 ans après, une nouvelle adaptation
cinématographique est annoncée. D’après leurs auteurs, cette version,
esthétiquement plus forte, sera plus fidèle au roman original. Encore
une histoire d’argent ?
O.V.
(1) Extraits du chapitre 7 de notre
dossier sur lesquels notre nouvelle
enquête apporte des mises à jour.
(2) D'après Didier Verdurand, du site
Ecranlarge.com, c'est un ami des Lutz qui, informé du drame, aurait
insisté pour qu'un prêtre bénisse la maison, au moment de
l'emménagement.
(3) Voir les documentaires History’s
Mysteries (« Une histoire mystérieuse ») sur le DVD Edition Collector,
MGM, 2005
(4) Inclus dans le DVD Edition Collector,
MGM, 2005
Pour aller plus loin :
"Il faut être fou pour acheter la maison
hantée la plus connue du monde, non ?"
Didier Verdurand à George Lutz
>>
Dossier et interview de George Lutz, par Didier Verdurand, du site
Ecranlarge.com
>>
Le
site officiel "The Amityville Horror", animé par George Lutz |