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Betbeder et Henninot,
duo de choc pour un chasseur de fantômes
Alors que le
second opus de la série BD "Alister Kayne, chasseur de fantômes"
est enfin disponible en librairie, aux éditions Albin Michel, les auteurs sont inquiets.
Leur héros ne s'est jamais aussi bien porté depuis sa mort. Mais
on ne peut pas en dire autant de l'avenir du troisième tome dont
l'espérance de vie dépend de la dure loi du marché...
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Avec "Dans ce
monde comme dans l'autre...", le fantôme d'Alister Kayne nous
entraîne dans de nouvelles aventures, aux frontières du
surnaturel, explorant plus en profondeur la vie tumultueuse d'un
chasseur de fantômes, façon Harry Price.
Souvenez-vous du premier tome : au crépuscule de sa vie, Alister
cède la place à son fantôme qui possède le pouvoir de voyager
dans son propre passé. Le lecteur découvre ainsi l'histoire de
Kayne par flash-back. Or, après sa fuite d'Angleterre pour
échapper au discrédit et à l'humiliation, il traverse l'Europe,
à la rencontre des grands parapsychologues de ce monde.
Démasquant les supercheries, Alister Kayne devient alors le
jouet de ses détracteurs. Mais, fort de ses méthodes et de son
habileté à contrôler sa publicité, il parvient à capter
l'attention d'un auditoire de plus en plus féru d'occultisme. |
A l'instar de leur personnage, Stéphane
Betbeder, le scénariste, et Eric Henninot, le dessinateur, croient à l'étrange mais doivent se battre
pour le faire reconnaître. Et pourtant, tous les ingrédients du mystère
sont là. Du scénario au dessin, "Alister Kayne" est une réussite
littéraire et visuelle.
Espérant le
succès de leur nouvel album auprès des lecteurs, ils ont
accordé à Maison-Hantee.com un long entretien exclusif, jouant
la carte du "making of" avec, en prime, des pages du script et
les premiers croquis du prochain épisode ! |
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A quelques jours de la parution d'un
dossier exceptionnel sur la biographie de Harry Price par Erick Fearson,
nous nous sommes mobilisés pour défendre une perle rare de la
bande-dessinée. N'hésitez pas à marcher sur nos traces. Et plutôt dans
ce monde que dans l'autre...
Propos recueillis par Olivier
Valentin
Maison-Hantee.com : Au début du tome 1, Alister Kayne, chasseur de
fantômes oublié de tous, s’apprête à se suicider au milieu de sa
bibliothèque d’ouvrages occultes. Avant d’y mettre le feu, il déclare
« l’homme d’aujourd’hui n’a que faire des mystères, il veut des
certitudes, du rationnel, du concret. Imbéciles, vous n’avez pas voulu
de mes recherches, vous n’aurez pas ma mémoire. » A l’instar de votre
protagoniste, les déboires de publication du tome 2 avec Albin Michel
peuvent-ils vous contraindre à la même conclusion ?
Eric Henninot :
Ah oui tiens, ce serait une bonne idée ça de s’immoler au milieu
de piles d’Alister Kayne ! Personnellement, je ne me faisais pas
d’illusion sur ce qui régit le monde de l’édition et le monde en
général, on connaît les règles du jeu. Cependant nous avions eu de la
part de l’éditeur l’assurance d’aller jusqu’au bout de la série et je
croyais que la parole donnée avait quand même plus de poids que cela.
Ceci étant dit, je n’ai pas plus d’amertume que cela, le tome 2 est
enfin sorti et je garde espoir pour le 3. Donc pas d’immolation pour
cette fois…
Stéphane Betbeder :
Les déboires de publication avec Albin Michel sont pour moi révélateurs
d’un dysfonctionnement de l’environnement éditorial (artistique ?) dans
lequel nous essayons de faire vivre notre série. Cet éditeur, comme
malheureusement beaucoup d’autres de nos jours, ne laissent plus le
temps à une série de s’installer et de conquérir de nouveaux lecteurs –
devenus méfiants par ces innombrables abandons de séries en cours. Une
série qui continue est une série qui est rentable dès le tome 1. Pour
que les auteurs vivent décemment pendant la réalisation de l’album, le
seuil de rentabilité (remboursement des à valoir perçus) se situe autour
de 7000 à 9000 exemplaires vendus. Nous n’avons vendus que 3500
exemplaires du premier tome, et à l’heure actuelle, rien ne dit que nous
puissions réaliser ce troisième tome, malgré le fait que cette série
nous tienne particulièrement à cœur à Eric et moi, que 10 pages soient
réalisées et que la totalité du traitement soit écrite. Notre directrice
de collection s’est battue comme une diablesse afin que nous puissions
avoir une chance, et elle a obtenue la prépublication dans Bodoï
qui nous a permis, je pense, d’avoir cette mise en place plus que
correcte du 2 (presque 7000 exemplaires en librairies). Si la totalité
se vend, nous devrions nous voir offrir un tome 3 et fin. Le problème
est que le 1 n’est plus disponible en librairie si ce n’est sur
commande. Et, connaissant les habitudes de consommation des lecteurs –
tout, tout de suite, sinon rien ! – je crains le pire. Mais l’espoir ne
nous est pas interdit même s’il semble utopique.
Maison-Hantee.com : Le second volume de la série continue de flirter
avec la biographie d’Harry Price, personnage emblématique de l’étude des
phénomènes surnaturels, qui savait utiliser la publicité, même à son
insu, pour promouvoir sa cause. Quels éléments de la vie de ce chasseur
de fantômes vous ont marqué au point de les faire revivre à Alister
Kayne ?
Stéphane Betbeder :
C’est un tout. Après la lecture de sa biographie Confessions of a
ghost hunter, je me suis intéressé à tout ce que j’ai pu glaner sur
le personnage et ses activités. Ce qui me plaisait, et me plaît encore,
chez Harry Price, est cette capacité qu’il avait à se tirer de
situations inextricables, toujours sur le fil du rasoir entre sa
prétendue compétence scientifique et ses rêves de gloire à peine
déguisés. Et je pense m’être intéressé au personnage parce qu’il résume,
et contient dans ses éléments biographiques, toutes les questionnements
et les contradictions qui me taraudent depuis toujours. Je me suis
complètement projeté et identifié à sa quête.
Maison-Hantee.com : Est-il si difficile que cela de se priver d’un nom
aussi controversé qu’Harry Price pour nommer son héros ?
Stéphane Betbeder :
Au départ, je voulais revendiquer la "Biocomic" de Harry Price (comme
on dit Biopic pour les films qui font la biographie d’une célébrité –
genre Ray Charles ou Johnny Cash dans Walk the Line). Mais je me
suis heurté à la méfiance de mon éditeur qui ne voulait pas risquer un
procès avec les héritiers de Sir Harry Price. Avec le recul, je pense
que d’inventer le personnage d’Alister Kayne à partir de Harry Price lui
a permis d’exister en tant que tel, pour lui même, et m’a permis de
sortir de l’ornière de la véracité historique.
Maison-Hantee.com : La série débute par la mort du héros dont le fantôme
revient, par la mémoire, hanter son propre passé. Le flash-back, comme
mode narratif, n’est-il pas trop dangereux à manipuler et trop compliqué
à suivre pour les lecteurs ?
Eric Henninot :
Je ne suis pas scénariste, mais je pense, malgré tout, qu’effectivement
le mode narratif est assez délicat. Pas à cause des flash-back mais
essentiellement parce que cela dédouble le protagoniste et qu’au final
il y a donc 2 protagonistes : Alister-vivant et Alister-fantôme. Et je
crois que le récit hésite toujours un peu entre ces deux personnages. Au
final, c’est bien le fantôme qui est le protagoniste principal, mais je
pense que cela se dessine assez tard dans le récit.
Stéphane Betbeder :
Et ce n’est pas à nous, auteurs, d’en juger. Je me plais à écrire des
histoires dont la structure est complexe. Pourquoi faudrait-il que le
lecteur soit toujours installé dans un fauteuil, que l’auteur le prenne
par la main et le caresse dans le sens du poil pour que sa lecture soit
confortable, que tout s’explique et que tout soit clair, limpide, sans
surprises ?? L’horreur ! Non, je crois que l’avantage d’une BD est
qu’elle se lit relativement vite, et qu’il est facile d’y revenir.
Aussi, je trouve intéressant de jouer sur plusieurs niveaux de lecture :
un premier, plus superficiel, qui joue sur des rebondissements
dramatiques "classiques" et un second, plus souterrain, qui met en
perspective des questions et des réflexions qui n’obtiennent pas
nécessairement de réponses. J’aime lire une œuvre qui prête à réfléchir
et qui m’interroge encore longtemps après la lecture. Voilà la raison
que je peux trouver à ce choix de structures basées sur des
enchevêtrements non linéaires.
Maison-Hantee.com : Au seuil de sa mort, Alister Kayne confesse : « j’ai
perdu la vie mais j’ai gagné un bien étrange pouvoir, celui de voyager
dans ma mémoire, au gré de mes souvenirs. » Croyez-vous que les fantômes
sont les doubles des vivants qui reviennent, après leur mort, hanter
leur propre passé pour corriger leurs fautes ? Sinon, quel est, pour
vous, le rôle du fantôme ?
Stéphane Betbeder :
Je crois en la vie après la mort, oui. Je ne peux croire que l’esprit
soit entièrement dépendant du corps. Je crois que la pensée continue
bien après que la date de péremption du corps soit dépassée. Le corps
n’est qu’un véhicule et quand il mange les pissenlits par la racine,
l’esprit est libéré de ses contingences matérielles et continue sa lente
évolution. Après, les phénomènes de hantises me semblent réels, à partir
du moment où, bien que l’esprit ait quitté le corps du défunt, ces mêmes
contingences matérielles le tiennent "pieds et mains liés" au monde
physique. Et il y restera coincé jusqu’à ce qu’un élément extérieur
vienne le délivrer de ces liens solides.
Eric Henninot :
Comme je n’ai jamais rencontré de fantômes, je ne me suis pas penché sur
la question. Mais, à mon avis, les morts sont morts et les fantômes sont
essentiellement un problème pour les vivants finalement.
Stéphane Betbeder :
Le fantôme n’a d’autre rôle que de rappeler aux vivants qu’un individu a
auparavant existé, et qu’il est resté lié à un lieu, à une personne, à
une situation. Et l’on est vraiment mort que lorsque plus personne ne se
souvient de vous.
Maison-Hantee.com : Au commencement du tome 2, on retrouve Alister Kayne
en Transylvanie, après avoir fui l’Angleterre. Avez-vous joué les Bram
Stoker ou y êtes-vous déjà allé ? Sinon, pourquoi y envoyer votre
détective de l’occulte ? Qu’est-ce qui a motivé le choix des pays qu’il
traverse, notamment la France, terre des cartésiens par excellence ?
Eric Henninot :
La Transylvanie, c’est essentiellement un voyage dans le temps pour
Alister, un lieu où il se retrouve confronté au surnaturel de façon très
différente de ce qu’il a connu à Londres. C’est un surnaturel sauvage et
brutal. Une façon de lui faire vivre ses questionnements de manière
beaucoup moins abstraite, dans sa propre chair. J’ai beaucoup aimé la
façon dont Stéphane s’est réapproprié le mythe du vampire, il en dit peu
et introduit des subtilités qui m’ont beaucoup plu.
Stéphane Betbeder :
Quant à la France, tout simplement parce que, pour atteindre l’Europe
depuis l’Angleterre, elle est le passage obligé. Pour la Transylvanie,
il me semblait logique qu’un presque contemporain de Bram Stoker fasse
le voyage pour entrer dans ces contrées empreintes de superstitions et
de croyances impies. Alister Kayne a lu, enfant, Dracula, et
comme beaucoup de ses contemporains, l’Europe de l’Est et ses légendes
sont un mythe fondateur de sa vocation, de son imaginaire. Pareil pour
son auteur, Bram Stoker, qui n’y a jamais posé un pied, à peine un doigt
sur une carte.
Maison-Hantee.com : Alister Kayne lutte contre les forces du mal, et
surtout, contre ses propres démons. Qu’est ce qui vous a inspiré la
scène du cauchemar dans l’auberge transylvanienne ?
Stéphane Betbeder :
C’est une retranscription assez fidèle d’un cauchemar que j’ai fait.
Après, Eric y a apporté sa patte et son interprétation graphique, mais
l’ambiance qui s’en dégage en est similaire. Dans ce rêve, je me
retrouvai dans une pièce inconnue et vide, baignée de lumière, un rayon
de soleil était dessiné sur le sol et les limites de ce rayon étaient la
prison dont je ne pouvais m’évader. Puis, je me retrouvai cloué dans mon
lit, pensant que je me réveillai. Un visage apparaissait face à moi dans
la lumière. Ce visage me ressemblait trait pour trait. La seule
différence notable était le port d’une barbe de ce double face à moi. Je
ne pouvais bouger. Mon double m’étranglait entre ses mains puissantes.
Impuissant, effrayé, je le regardai ôter la vie qui coulait en moi.
J’essayais de crier, en vain. Soudain, je me réveille, dans mon lit en
sueur, un faible râle, comme un cri sort de ma gorge. J’avais rêvé qu’un
double barbu m’avait tué. Aujourd’hui, et je ne cherche en rien à
analyser cet état de fait, je porte la barbe et je ne pense être
différent de celui que j’étais avant ce cauchemar… Voilà l’origine de ce
cauchemar de papier, né d’un cauchemar véritable qui a marqué un virage
important dans ma propre vie. Et qui en marque un important dans la vie
d’Alister Kayne, double fictionnel.
Maison-Hantee.com : Un calvaire, des morsures évoquant les stigmates,
les bras souvent en croix, humilié, rejeté, presque sacrifié, les
apparences sont-elles trompeuses ou Alister Kayne serait-il devenu une
icône dans une quête mystique ?
Eric Henninot :
C’est vrai qu’Alister en prend plein la poire. J’avoue ne pas connaître
les raisons de Stéphane pour le maltraiter à ce point. Sans doute que la
rédemption n’en sera que plus forte. Mais a mon avis c’est quand même du
sadisme !
Stéphane Betbeder :
C’est drôle, je n’y ai pas pensé, c’est inconsciemment que j’ai fait du
voyage de Alister en Europe de l’Est un calvaire quasi christique. Un
ami me dit souvent que je suis "une bigote", j’ai bien peur que
derrière sa moquerie se cache une réalité….
Maison-Hantee.com : D’après Alister Kayne, « nier l’irrationnel est dans
la nature de l’homme moderne. Quelle que soit la véracité des faits, il
évacue ce qu’il ne peut expliquer ». Au regard de l’histoire des
croyances, que pensez-vous des tentatives de la science pour expliquer
les phénomènes paranormaux ? Ont-elles désenchanté le monde ou, au
contraire, accrédité le pouvoir du mystérieux ?
Stéphane Betbeder :
Aujourd’hui, la recherche en matière de parapsychologie se base, comme
l’I.M.I. (Institut Métapsychique International), sur des études
statistiques, des pages et des pages de chiffres pour savoir si la
pensée, par exemple, influe sur les tirages de cartes ou si la
télépathie est un phénomène qui peut se répéter à l’envi. Elle obtient
des résultats qui n’ont absolument rien de spectaculaire, et elle
souffre d’un manque manifeste de moyen. A part quelques aficionados,
cela n’intéresse pas grand monde. Il fut une époque où le mystérieux
recevait un véritable engouement de la part du public, et c’est l’époque
qui est dépeinte dans Alister Kayne Tome 1 et Tome 2.
Eric Henninot :
Je ne pense pas que la science désenchante le monde, bien au contraire.
Il suffit de se pencher un peu sur les découvertes récentes de la
science pour s’en convaincre. Et c’est d’ailleurs pour moi une véritable
source d’émerveillement. La science se préoccupe du "comment" et pas
du "pourquoi". Elle nous montre le monde telle qu’il est, dans ses
mécanismes les plus subtils, elle nous dit, "voilà, c’est comme ça que
ça fonctionne". Mais, pas de pourquoi ! Il me semble que la science ne
donne pas de sens au monde. Ce n’est pas de la philosophie ni de la
métaphysique. Et en ce sens, le mystère reste absolument entier. Quand
bien même nous apprendrions que les fantômes ne sont qu’une
hallucination par autosuggestion, ça n’en reste pas moins
extraordinaire. A mon avis la responsabilité du "désenchantement du
monde" est à trouver ailleurs, la science n’y est pour rien. L’économie
de marché par contre n’est peut-être pas innocente dans l’affaire…
Maison-Hantee.com : Dans le tome 2, le fantôme d’Alister Kayne craint de
révéler sa présence. D’après lui, son empathie pour les vivants pourrait
le rendre visible aux clairvoyants. Les médiums, et en particulier les
enfants, ont-ils le monopole de la communication avec l’au-delà ?
Eric Henninot :
Aucune idée ! (Rires)
Stéphane Betbeder :
Je ne suis pas un spécialiste de la question ! Je pense toutefois que la
communication avec l’au delà n’est pas réservée à quelques personnes qui
seraient détentrices d’un pouvoir surnaturel, venu d’on ne sait où. Je
pense que tout le monde est susceptible de faire une rencontre
surnaturelle, lors de la mort d’un proche ou d’un passage dans un lieu
"chargé". De toute façon, ces communications sont choses rares et
requièrent de sacrés concours de circonstances pour qu’elles puissent se
faire. Je suis très méfiant quant aux médiums qui peuvent communiquer
avec les morts quand ils le désirent. Un médium est par définition un
vecteur. Il ne communique que lorsqu’on le sollicite pour le faire. Or,
je ne suis pas certain que les morts soient aussi bavards que certains
extralucides veulent bien nous le faire croire.
Maison-Hantee.com : Connaissez-vous la zététique, un courant de pensée
sceptique qui, comme Alister Kayne, veut démasquer les fraudeurs du
surnaturel ? Ses fondateurs se sont illustrés il y a quelques années en
offrant une récompense à celui ou celle qui confirmerait ou infirmerait
la réalité des phénomènes paranormaux ? Eric, Stéphane, dans quelle
catégorie vous rangez-vous ? Croyant, sceptique, opposant ou, comme
Alister, faussement désintéressé ?
Stéphane Betbeder :
Oui, je connais le courant zététique. Il y a quelques années maintenant,
lors des recherches documentaires pour le 1er tome d’Alister
Kayne, j’avais rencontré le professeur Yves Lignon, de l’université de
Toulouse, qui a écrit bon nombre de livres sur les phénomènes
surnaturels et mené des enquêtes avec des médiums, dans des lieux
réputés hantés. Les zététiciens l’ont particulièrement assaisonné de
critiques quant à ses méthodes et le manque de sérieux de ses
investigations. Rappelons-nous toute la publicité qui avait été faite
autour des manifestations physiques d’Uri Geller qui pouvait tordre des
cuillères par le pouvoir de sa simple volonté. Un prestidigitateur
réussit le même phénomène, dans les mêmes conditions de contrôle, en
utilisant un truc, à savoir chauffer à blanc les cuillères et attendre
leur refroidissement qui les voit se rétracter, soudainement, comme par
magie. Pour qu’un fait soit avéré, la science demande qu’il puisse se
répéter à l’infini, comme un théorème. Mais le paranormal n’entre pas
dans cette logique. Il est impalpable, inattendu et, pour tout dire,
capricieux.
Eric Henninot :
Je pense que ce problème est complexe et qu’il mériterait effectivement
d’être étudié de manière scientifique, avec des tests et des
expérimentations qui permettraient de faire un peu le tri, entre les
faits et les fantasmes. Ce serait intéressant. Je ne suis donc pas
croyant, ni véritablement sceptique, pas opposant (pourquoi faire
d’ailleurs ?) et pas désintéressé non plus. Disons que je suis dans une
5ème catégorie alors, celle des curieux sans a priori. Enfin,
j’essaye… (Rires)
Maison-Hantee.com : Alister Kayne croise le chemin d’un parapsychologue,
le Comte Logothati, qui lui dit : « le véritable scientifique n’a pas de
préjugés et doit être en mesure d’enquêter sur n’importe quel
phénomène ! ». Cette démarche a-t-elle aujourd’hui un sens ou le
surnaturel n’est-il devenu qu’un sujet de fiction, plus ou moins bien
traité ?
Stéphane Betbeder :
J’ai été surpris de constater que beaucoup de mathématiciens,
scientifiques, ont des quêtes quasi mystiques dans leur domaine. Ils
cherchent la perfection, l’harmonie, la beauté. En outre, quand ils
trouvent une équation qui atteint ces objectifs, ils lui vouent une
adoration quasi religieuse. La science n’est pas éloignée de l’art, elle
aussi demande des ressources d’imagination et de créativité de la part
des ses représentants. Et il n’est pas rare qu’un scientifique se
convertisse, ou découvre sa spiritualité au bout de ses recherches. Je
ne sais pas si je réponds à la question, là ?
Eric Henninot :
Je n’ai pas l’impression que ce soit désormais une question
fondamentale. L’effet de mode à l’époque était très puissant, tout comme
dans les années 60 pour la conquête spatiale, ou les américains et les
russes se tiraient la bourre. Le contexte était très propice à ce que
l’énergie d’un grand nombre se focalise sur certains sujets. Je ne vois
pas trop l’état voter aujourd’hui des budgets pour la recherche sur le
paranormal. La démarche scientifique ne m’en semble pas moins
intéressante en ce domaine.
Maison-Hantee.com : L’épisode de la Tour Eiffel fait partie de mes
préférés car il souligne le besoin de sensationnalisme et de publicité
que peut engendrer le surnaturel. Pensez-vous que les médias ont
succombé définitivement à cette tentation ? Quel programme ou œuvre de
fiction trouve encore grâce à vos yeux d’artistes ?
Stéphane Betbeder :
Je ne comprends pas bien. On parle du sensationnalisme dans les médias
en matière de surnaturel ? Les quelques émissions "d’enquêtes" que
j’ai pu voir sur M6, faisant un état des lieux sur le surnaturel
aujourd’hui, sont assez ridicules. Puisqu’ils cherchent du sensationnel
mais ne trouvent jamais rien.
Eric Henninot :
Pour moi, c’est une évidence : le sensationnel est devenu le seul
objectif pour les grands médias. Ils ne cherchent pas à nous apprendre
quoi que ce soit et encore moins à nous informer, ils veulent juste
"rendre les cerveaux disponibles pour Coca-Cola". Quand on y réfléchit
c’est absolument effrayant, le patron de TF1 sort ça et personne ne
réagit. Le grand somnifère a gagné ! Dans ce cas là, tout est bon : le
surnaturel, les monstres, l’indécence (je ne parle pas du cul, c’est
plus vraiment indécent)
Stéphane Betbeder :
Dans les séries, je trouve qu’il y a de bonnes choses quand ça flirte
avec le surnaturel. Je pense à certains épisodes de X Files, de
l’ambiance de Lost. Je suis assez admiratif de la façon dont les
Japonais traitent le fantastique, sans jamais chercher, comme nous
autres cartésiens-génétiques, à l’expliquer. Spirale en BD, les
films genre Dark Water, Kairo, Ring évidemment,
etc. En fait, il y a plein de bonnes choses à prendre en picorant. Je
suis particulièrement sensible aux œuvres qui traitent le fantastique de
façon réaliste, avec un fort ancrage dans la réalité.
Maison-Hantee.com : A la fin du tome 1, Alister Kayne embarque sur un
bateau qui porte le nom d’Harry Price. Avez-vous glissé d’autres clins
d’œil dans votre série ?
Stéphane Betbeder :
Eric répondrait mieux là dessus…
Eric Henninot :
Oui, y’en a mais on ne vous dira rien ! (Rires)
Stéphane Betbeder :
Il y a un autre clin d’œil visuel sur la fameuse photo rassemblant
Houdini, Conan Doyle et Kayne sur le pont d’un bateau. La première fois
que l’on voit cette photo dans la première scène du tome 1, Alister
porte une veste. La seconde fois que l’on voit cette photo, au moment où
elle est prise en 1922, dans le tome 2, Alister porte un manteau. Cette
petite anomalie "temporelle" signifie subrepticement qu’Alister-fantôme
a déjà réussi à dévier le cours de sa vie, sans qu’il en ait encore
conscience. Un détail a changé entre ce qu’il a vécu et ce à quoi il
assiste. Alister-fantôme est sur la bonne voie. Par sa présence, il fait
vivre des évènements inédits à son double vivant.
Eric Henninot :
On a dit qu’on ne disait rien !
Maison-Hantee.com : A Munich, la séance spirite à laquelle participent
Kayne et Logothati évoque les expériences menées par le Baron von
Schrenck-Notzing sur le jeune Willy Schneider, en 1919. Comment
travaillez-vous ce rapport entre des faits historiques authentiques et
votre fiction ? Y a-t-il d’autres références à l’histoire de la
parapsychologie ?
Stéphane Betbeder :
Cette séance est, en effet, ouvertement référencée aux séances du Baron
Schrenck-Notzing, et elle reprend le compte-rendu qu’en a fait
l’écrivain Thomas Mann, après avoir été convié par le baron lui-même à
assister à ses séances. Il y a d’autres références dans ce tome, mais
elles sont plus diffuses. Amalgames entre plusieurs sources et lectures
réparties sur plusieurs années. Je pense notamment à cette histoire de "momificateur
de viande" qui a été étudié en France par le professeur
Richet, si ma mémoire ne me fait pas défaut.
Maison-Hantee.com : Dans le tome 1, on aime beaucoup la planche de la
maison hantée où on suit l’exploration d’Alister et de Simon sur une
même page, dans une lecture circulaire. Cette technique déroutante qui
associe avec originalité graphisme et narration revient dans le tome 2
avec la scène du passeur, après le rituel de Blocksberg. Comment
collaborent un scénariste et un dessinateur sur une bande dessinée ? Y
a-t-il eu des désaccords ? Dans ce cas, quel fut le prix d’un
compromis ?
Stéphane Betbeder :
Le scénariste, non "dessineux" que je suis, gribouille un crobar
(croquis un peu simpliste) pour ces pages particulières sur lesquelles
Eric se base pour les réaliser. Et heureusement qu’il les complexifie
puisque les lois de la perspective, du nombre d’or et des divines
proportions me sont totalement étrangères !
Eric Henninot :
Pas de désaccord ! De toute façon, c’est moi qui décide ! (Rires)
Blague à part, oui, il y a parfois des désaccords, mais nous avançons
chacun nos arguments de la façon la plus constructive possible en
faisant confiance à l’autre pour prendre la meilleure décision en
connaissance de cause. Pour trancher de toute façon, le scénariste a le
dernier mot sur le scénario et le dessinateur sur le dessin.
Maison-Hantee.com : « Dans ce monde comme dans l’autre… », cet épisode
plus sombre de la vie d’Alister Kayne a-t-il eu des répercussions sur
les choix graphiques ?
Stéphane Betbeder :
Bien évidemment. Eric a pris plus de liberté, son dessin a pris plus
d’ampleur et j’ai volontairement écrit des scènes qui seraient plus
axées sur le visuel que sur les rebondissements narratifs (je pense
notamment aux premières scènes).
Eric Henninot :
Pas spécialement. Je suis un dessinateur débutant et je cherche
simplement à faire mon travail du mieux que je peux. Je suis en plein
apprentissage, je n’en suis pas encore au stade ou je peux me permettre
de faire des choix graphiques. Le dessin commande, Je n’ai pas une
technique suffisante pour avoir cette liberté là. Ceci étant dit, il est
clair aussi que j’essaye toujours à travers le dessin de faire passer
les émotions que Stéphane veut faire passer, mais ce n’est pas une
question de graphisme à proprement parler, mais de cadrage et de mise en
scène.
Maison-Hantee.com : A la fin du tome 2, Alister Kayne invite, par caméra
interposée, ses détracteurs à suivre ses investigations à travers son
futur "laboratoire de recherches psychiques". Mais son fantôme semble
vouloir suivre un tout autre chemin. Faut-il y voir une porte ouverte
sur le tome 3 que l’éditeur pourrait avoir à refermer ?
Eric Henninot :
Oui bien sûr, la fin du tome 2 n’est pas la fin de l’histoire et elle
pose clairement les enjeux du 3. Quand à savoir ce que compte faire
l’éditeur….
Stéphane Betbeder :
Comme je disais au début, je suis très attaché au « To be continued ».
Et le « The End » a été écrit. Reste un coup de pouce du destin et un
engouement des lecteurs pour nous aider à concrétiser ce vœu qui nous
est cher : un troisième et dernier album pour clore l’histoire d’Alister
Kayne.
Eric Henninot :
Et puis je suis actuellement sur une autre série. Alors, dans
l’éventualité où Albin Michel voudrait faire le 3, il me faudra jongler
avec 2 séries. Ce qui risque de ne pas être une mince affaire. Mais bon,
on verra à ce moment là.
Maison-Hantee.com : Le comte Logothati qui n’a pas révélé toutes ses
intentions, l’énigmatique Miss K. dont l’avenir semble tragique, le
retour de Houdini et de Conan Doyle, le mystérieux manipulateur dans
l’affaire des fées de Cottingley,… Alister Kayne a encore tant
d’aventures à vivre et de secrets à nous révéler. Quel que soit le
destin de la série, pouvez-vous révéler, en avant-première, quelques
clefs du tome 3 ?
Stéphane Betbeder :
Je vous joins les pages dessinées de la première scène ainsi que le
découpage et dialogue de cette scène en preview du 3ème
album.
Fin de
l'entretien
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Tome 3 : Les
fantômes rêvent-ils ?
En avant-première, Stéphane Betbeder
nous a confié quelques planches dessinées de la première scène du
prochain tome. Une silhouette, qu'on devine petit à petit être Alister
Kayne (vivant ou fantôme ?), descend une colline en direction d'un vieil
arbre, planté au milieu d'un champ. A l'ombre de ses branches, Arthur
Conan Doyle lit un magazine. Il attend un visiteur pour le thé. Alors
que Kayne s'adresse à lui, Doyle reste muet. En réponse à une
vieille querelle ? Ou simplement parce qu'il ne le voit pas ? Apparaît
soudain un autre protagoniste de la série, le magicien Houdini.
L'incongruité de la situation et les échanges qui s'en suivent entre les
personnages laissent le lecteur perplexe. Qui est réel ? Qui ne l'est
pas ? A l'instar des opus précédents, l'introduction du tome 3 nous
oblige à perdre pied quelques instants. Voici, en exclusivité pour
Maison-Hantee.com, quelques vignettes, prélevées sur les premières pages
d'un album en devenir. Elles sont dans l'ordre chronologique mais ne se
suivent pas directement dans la version finale. O.V.
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Dessins publiés avec
l'aimable autorisation des auteurs. Toute reproduction interdite.
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Cinq questions
existentielles à Stéphane et Eric
Ce que vous lisez ?
Stéphane :
Je découvre Borges à travers des œuvres comme l’Aleph et
Histoires de l’Infamie. Je suis impressionné par sa façon de
façonner des mythologies fictives et de construire des récits. Je relis
aussi le K de Buzzati que je redécouvre puisque je ne l’avais pas
lu depuis l’adolescence. Je suis sensible aux nouvelles, puisque je peux
les lire d’une traite et passer d’un auteur à l’autre sans avoir à
revenir sur les pages précédentes pour retrouver le fil de l’histoire.
Eric :
Euh... des
livres
Ce qui vous énerve ?
Stéphane : La peur. Peur des autres.
Peur de l’Europe. Peur de la Chine. Peur des musulmans. Peur des
migrants. Peur du voisin. Etc.
Eric :
Les
gens qui ne se foulent pas pour répondre aux questions qu'on leur pose !
Ce qui vous fait peur ?
Stéphane : Mes cauchemars
Eric :
Ce
que je pourrais dire ici et qui immanquablement se retournera contre moi
un jour
Avez-vous déjà été confronté au surnaturel ?
Stéphane : Oui. Avec Christophe Bec,
nous avions formé un cercle spirite pendant un an à Angoulême. Et il y a
eu des hasards, des sensations, des visions auxquelles je préfère ne
plus penser aujourd’hui.
Eric :
Par
amis interposés uniquement
La question qu’on ne vous a jamais posée ?
Stéphane : Celle-ci. Et je n’ai pas
de réponse qui me vienne.
Eric :
Mais où allez vous
cherchez tout ça ?
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Lire aussi :
L'interview d'Eric Henninot sur "Alister Kayne" Tome 1 |